Nº 157

Sans commentaire

Service public

« La GPA [gestation pour autrui] peut être altruiste, comme au Royaume-Uni depuis 1985, ou conçue comme un service rémunéré. Souvent les mères porteuses se représentent leurs prestations comme celles d’une nourrice. Il me semble capital de souligner cet aspect de la question car, comme le note l’anthropologue féministe Paola Tabet, pour la première fois, une femme peut être rétribuée pour une tâche qu’elle accomplit gratuitement depuis toujours. En ce sens, loin de constituer une exploitation, la GPA serait une forme d’émancipation des femmes, non seulement par la désacralisation de la maternité qu’elle opère, mais aussi et surtout par la mise en lumière du travail procréatif, historiquement occulté. À cet égard, la GPA peut prendre la forme contractuelle ou celle du service public. »
Daniel BORRILLO

Pas forcément

« Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle, car Paris ne pourra compter sur aucun report de voix au deuxième tour. »
Yves CALVI

Un mot d’ordre vrai et fécond

« Oui, les Arabes, les Noirs, les Jaunes, les ouvriers, les Barbares, à Saint-Germain ! Au Flore, aux Deux-Magots, au Bonaparte ! Voilà un mot d’ordre politique, un vrai, plus fort et plus fécond que toutes les motions adoptées par mon parti au cours de ces dix dernières années. »
Aquilino MORELLE

Enfermés

« Malgré les nombreux tabous brisés, il existe toujours un fort consensus autour du principe de “décence” dans le vêtement, consistant à poser des limites à l’exhibition des organes sexuels primaires. Enfermés dans nos carcans judéo-chrétiens, on ne peut pas voir de changement profond dans nos comportements. »
Les Heidegger habitaient une maison plutôt récente dans un quartier résidentiel, qui ne ressemblait guère aux images de cabane dans la forêt que j’associais au philosophe. Nous n’étions pas plus tôt entrés que madame Heidegger nous enjoignit avec autorité d’utiliser les patins qu’elle réservait aux visiteurs. […] J’étais partagée entre le sentiment désagréable d’être une intruse et l’hilarité contenue que suscitait en moi le contraste inattendu entre les patins et la métaphysique. Nous fûmes introduits au salon où Heidegger était étendu sur une chaise longue. Sitôt assis à ses côtés, Lacan entreprit de lui faire part de ses dernières avancées théoriques faisant usage des nœuds borroméens, qu’il était en train de développer dans son séminaire. Pour illustrer son propos, il sortit de sa poche une feuille de papier pliée en quatre, sur laquelle il dessina une série de nœuds pour les montrer à Heidegger, qui pendant tout ce temps ne disait mot et gardait les yeux fermés. Je me demandais si ce dernier exprimait ainsi son absence d’intérêt ou s’il fallait mettre en cause l’affaiblissement de ses facultés. Lacan, qui n’était pas homme à renoncer, s’obstinait, la situation menaçait de s’éterniser. Heureusement, madame Heidegger survint et mit fin à l’« entretien », au bout d’un temps mesuré d’avance pour « ne pas fatiguer son mari ». Nous reprîmes sur nos patins le chemin de la sortie, non sans avoir été conviés à retrouver le couple un peu plus tard dans un restaurant voisin. Décidément tracassée par les patins, aussitôt dehors, je demandai à Lacan si madame Heidegger avait été nazie. « Bien entendu », me répondit-il. Il était à l’époque très peu question des rapports de Heidegger avec le nazisme. Le livre de Victor Farias n’était pas encore paru. Pendant le déjeuner, Heidegger se montra un peu plus loquace, mais la conversation fut peu animée. Lacan, qui lisait l’allemand, ne le parlait pour ainsi dire pas et nos hôtes possédaient mal le français. Avant de nous séparer, Heidegger me donna une photographie de lui, format carte postale, au dos de laquelle il écrivit : Zur Erinnerung an den Besuch in Freiburg im Br. am 2. April 1975, sans mention de mon nom. J’étais un peu étonnée de cet autographe pour fan, que je n’avais pas sollicité, mais je le conservai pieusement. Un de mes patients, qui vit la photographie sur une étagère de ma bibliothèque, me demanda si c’était mon grand-père.
Aileen RIBEIRO