Quoique tous très différents, les films de Pier Paolo Pasolini fascinent par leur même puissance d’évocation et leur même force de vie. À l’occasion du 60e anniversaire de L’Évangile selon saint Matthieu, Olivia Leboyer nous rappelle combien, mêlant les genres, les formes et les tons, le réalisateur tient ensemble le tragique, le rire et la chaîne des temps, du mythe à la dystopie.
Commentaire
« Allons plus haut. En bas, ça pue salement », lance, à un moment, Accattone (interprété par Franco Citti) à ses compagnons de misère. Faire un plongeon du haut d’un pont, ou tenter un coup, un de plus, pour se refaire. La perspective n’a rien de glorieux, à hauteur du quotidien. Dans son premier film, en 1961, Pier Paolo Pasolini traverse les espaces bouchés, limités, de ces garçons, mendiants et orgueilleux, anges et bêtes, qui arpentent Rome et sa périphérie. En quête de quoi ? De la lumière de Dieu, ou d’un camion convoyant un chargement de mortadelle ? Pasolini tient ensemble les deux chemins, corps et âme tendus vers une même déception. D’un film à l’autre, le spectateur retrouve ces questions sans réponse sur le visage de Franco Citti, à la beauté impudique, légèrement ébréchée. Regard las, hanches provocantes, sourire à la limite des larmes, l’acteur est extraordinairement expressif. Car, si Pier Paolo Pasolini vient de la littérature, de la critique, de la philosophie, son cinéma offre essentiellement des visages, des corps et des paysages à contempler1.
En quête de visages
Pourquoi Pasolini, 100 ans après sa naissance, 49 ans après sa mort violente, est-il si vivant aujourd’hui ? Parce qu’il s’attaque, inlassablement, à l’équation de la vie : le désir, vif comme un soleil couchant.
Théorème (1968) rayonne d’un éclat doux, sans arêtes. L’un après l’autre, les membres de la famille bourgeoise qui a reçu le visiteur se résignent à l’évidence : il ne reviendra pas, celui dont ils sont épris, à jamais. Pour le rôle, ce n’est pas Franco Citti, à la beauté trouble, mais Terence Stamp, au visage plus régulier, qui laisse croire que l’harmonie et la perfection existent. Son sourire léger acquiesce au désir de chacun, pour un moment inoubliable. Que reste-t-il alors ? Chacun, livré à sa solitude, agit différemment. Seul le fils tente, par la peinture, de donner forme à ce qu’il ressent, et qui est le manque : « Tu m’as soustrait à l’ordre naturel du monde », confie-t-il au visiteur venu annoncer son départ.
Le manque se lit aussi sur le visage de Maria Callas, consumée de l’intérieur dans Médée (1969) : « Je regarde le soleil, je ne le reconnais pas », dit simplement celle qui n’est plus aimée de Jason. Sans son regard, tout perd son sens ; Médée n’a plus que quelques sortilèges noirs et une immense désolation à étendre, comme un voile noir, sur le monde : « La pauvre a subi une conversion à l’envers et ne s’en est pas remise », analyse le centaure (joué par Laurent Terzieff), lui-même dédoublé. Quelque chose était arrivé, une transfiguration, puis s’est éteint.
Même phénomène dans Mamma Roma (1962), où la magnifique Anna Magnani, éclatante de vie, nous quitte, regard vide perdu au-dessus des toits de Rome, sur un dernier plan sans issue. Son fils, prunelle de ses yeux, gît sans vie, attaché par la police.
Encore plus flagrant dans Œdipe roi (1967), où Franco Citti se crève les yeux dans un gros plan visqueux, en hurlant comme une bête. Il ne veut pas voir cette vérité que le sphinx lui a annoncée, et qui l’exclut du reste de l’humanité.
Des yeux crevés, des crânes scalpés, des énucléations, nous en voyons, à la chaîne, dans Salò ou les 120 Journées de Sodome (1975). Et c’est notre regard, à nous, spectateurs, qui est scruté et mis en cause, par un déplacement habile qui nous place au côté du tortionnaire passif qui observe les supplices de sa fenêtre, avec une longue vue. Avec une délectation que nous ne voulons pas partager.
Et dans L’Évangile selon saint Matthieu (1964) ? Pour ce film, Pasolini a mis un soin tout particulier à trouver des visages antiques, préchrétiens. Plus encore que les mots, les images doivent imposer leur puissance d’évocation :
Dans cette phase de ma recherche, je m’étais posé comme problème, comme but de ma recherche, de trouver des villages, des lieux, des visages, qui puissent se substituer aux villages, aux lieux modernes. Par exemple, je sais que Nazareth est une ville très moderne, et donc je ne pourrai jamais utiliser Nazareth pour représenter la ville de Nazareth. (…) Ce désert, qui a été conquis jour après jour, si l’on peut dire, par les Israéliens, est habité encore par des tribus de Bédouins. Nous y voilà. (…) Ce sont toujours les mêmes visages que l’on a vus dans les villages des Druzes, doux, beaux, joyeux, et un poil lugubres, funestes ; ils sont d’une douceur animalesque, absolument préchrétienne. Ici n’est pas passé le prêche du Christ, même de loin2.
Pasolini exhume une Antiquité très concrète, quotidienne. Précisément, dans ses films dits mythiques, Œdipe roi (1967), Médée (1969) et, dans une certaine mesure, Théorème (1968), on retrouve les mêmes visages que dans ses films dits néoréalistes, Accattone (1961), Mamma Roma (1962) et Des oiseaux petits et gros (1966) : toujours Franco Citti, toujours Ninetto Davoli, qui prêtent leurs traits aux mendiants magnifiques, réels ou fantasmés. Le haut et le bas inextricablement mêlés.
Le rire
Pasolini confiait éprouver une tendresse particulière pour son film Des oiseaux petits et gros, tourné avec de tout petits moyens et qui sera son plus gros échec commercial. Sorte de road movie grinçant avec la star italienne Totò et l’amant de Pasolini, le jeune Ninetto Davoli, le film énonce sans équivoque ses intentions, dès le générique chanté :
Trouvés dans les rues du monde entier, les autres acteurs, dans la triste ronde, dans l’heureuse ronde / En dirigeant, il risqua sa réputation, Pier Paolo Pasolini.
Pleurer et rire, déplorer et s’enchanter, dans une ronde absurde : Pasolini indique clairement le sens de sa fable. Un père et son fils, paumés, errent sur un petit chemin. Ils croisent un corbeau loquace, qui leur conte l’histoire vraie de saint François d’Assise, qui envoya jadis deux moines évangéliser les oiseaux, les petits comme les gros. Les deux moines sont également joués par Totò et Ninetto Davoli, qui exercent une vis comica fondée sur la répétition d’un criard et lancinant : « Dis, Papa, pourquoi… ? »
Dans cette errance sans but, l’acteur Ninetto Davoli livre son arme la plus percutante : un grand rire naïf. Le même que dans Théorème, où son personnage de facteur espiègle battant des bras pour mimer un oiseau est le seul à rire. Il fait alors le pitre pour attirer l’attention de la domestique de la famille, jouée par Laura Betti, qui lui sourit avec indulgence en retour. Dans ce film, c’est la douceur grave de Terence Stamp qui diffuse le charme fatal.
Le même rire dans Porcherie (1969). Le même rire aussi dans Le Décaméron (1971), où, fleur de pissenlit entre les dents, il réussit à séduire une jeune beauté, avant de se trouver pris au piège et jeté dans une fosse de merde. Visage émacié, yeux fiévreux et enfoncés, Pier Paolo Pasolini semble, à première vue, sombre. Pourtant, sa plus grande histoire d’amour, c’est avec Ninetto Davoli qu’il l’a vécue, un jeune homme rieur, sans malice, au visage bon enfant. Il adorait chez lui, disait-il, sa réserve de joie sans fin. Dans L’Évangile selon saint Matthieu, Davoli incarne un ange Gabriel tout sourire, venu annoncer la venue de l’Enfant à Marie.
La joie de vivre, bruyante et bigarrée, éclate dans plusieurs films, aussi vive que son envers, la violence et le désenchantement. Comme si les personnages s’attachaient à profiter au maximum d’une insouciance qu’ils savent éphémère. C’est le principe de l’insouciance, d’ailleurs. Dans Accattone, la bande de garçons laisse le temps filer, sur des chaises devant un immeuble, s’invectivant pour rire, à propos de tout et de rien : « Hé, Accattone ! Tes obsèques, elles seront comment ? Une rigolade générale, et qui pleure paie à boire ! » Les outrances, les concours d’insultes rythment le quotidien de ces garçons désœuvrés et fiers de ne rien faire : « Alors, Accattone ! T’es pas mort ? Il paraît que le travail tue », lancent-ils à leur ami lorsqu’il tente de se ranger. Car Accattone a la flemme dans le sang et répugne à toute tâche mécanique et dégradante. Tourner en dérision les valeurs bourgeoises, le travail en tête, est un moyen comme un autre de crâner, tête haute et ventre vide. Dans Accattone, dans Des oiseaux petits et gros, le rire est une méthode, une manière de rendre la plainte tolérable. Face à la l’injustice, à la dureté de l’époque, rire reste le seul exutoire, gifle élégante à une société sourde et aveugle. Geste social, disait Bergson et, ici, geste d’affirmation pour ces marginaux, ces réprouvés.
Tonitruant, strident, chez Pasolini le rire est lancé comme un cri. L’ouverture de Mamma Roma nous montre Anna Magnani, invitée en bout de table au remariage de son ex-mari, joué par Franco Citti. Orgueilleuse, elle le défie en chantant et riant avec excès : « Ô fleur de jonquille / Ô fleur au cœur tendre / Ô fleur de mes miches / Je suis libérée ! » Rire énorme, séduction échevelée, Anna Magnani rayonne en femme et en mère possessive, maladroite, prostituée repentie pleine d’espérances pour son grand fils. Au fil des séquences, ce rire qui conjure les angoisses vire aux larmes, à l’hébétude. Faute d’adversaires auxquels se mesurer, cette mère superbe se heurte au vide. Je n’ai pas fait un fils pour qu’il devienne paysan, pour qu’il devienne manœuvre, avait-elle coutume de lancer fièrement. Oui, lui répond placidement un curé, seulement voilà, « on ne fait pas rien avec rien ». Du rire aux pleurs, à la résignation, la mamma n’échappe pas à son Chemin de croix.
Dans le Décaméron (1971) comme dans Les Contes de Canterbury (1972), les épisodes se succèdent en nuances diverses, le rire se teintant de noir, de jaune, de rose, selon les contes de Boccace représentés. Par moments, le sexe et le rire joyeux s’associent librement. Dans d’autres saynètes, le rire se fige ou se retourne contre celui qui se croyait le plus malin. À ce jeu, l’expressivité de Ninetto Davoli fait merveille. En contrepoint de ces amours effrénées, la mort est à l’œuvre. Ces beaux jeunes gens, la peste les prendra peut-être mais, en attendant, ils l’oublient, à la campagne, en se berçant de contes. Même dans le rire, la mort vient se nicher, comme par surprise. Mais c’est la célébration de la belle vie, brève et brutale, qui l’emporte. Dans les films mythiques, Œdipe roi, Médée, à la beauté plus hiératique, les personnages du bouffon ou du centaure poussent un rire salvateur ou inquiétant, entre deux temps forts vers le tragique.
Rit-on dans Salò ou les 120 Journées de Sodome ? Oui, hélas. Dans ce dispositif pervers, voyeuriste, le rire a sa place, comme le reste. Tous les sentiments sont exposés, mis à nu, puis consciencieusement détruits par le petit groupe de bourreaux. De connivence, ces quelques hommes d’âge mûr s’observent mutuellement, souriant de leurs inventions cruelles. Une blague ? Élire la plus belle paire de fesses de celui qui sera, en récompense, tué, mimer l’exécution jusqu’au déclic et préciser à celui que l’on vient d’épargner : « Tu croyais vraiment qu’on allait te tuer maintenant ? Non, on va te tuer plusieurs fois. »
Surtout, le rire se fait entendre lorsque, nus, regroupés en cercle, les jeunes gens doivent écouter une conteuse, entre deux âges et minaudière, qui détaille ses premières incursions dans le vice, en ponctuant son récit d’éclats de rire. Autour d’elle, aucune réaction, le silence. Pourquoi ces récits ? Les ravisseurs du groupe de jeunes gens travaillent à les soumettre entièrement, corps et esprit. Pour que la domination soit totale, il leur faut conduire ces jeunes à l’accepter, en brisant leur résistance. Terrible, la fin du film nous rend témoins du sourire échangé entre deux garçons en voyant « le Président » (Aldo Valletti) observer les tortures par la fenêtre. Dans un cercle parfait, la complicité noue les uns aux autres, les acteurs et les spectateurs, dans une accoutumance commune à la violence. Le dressage des jeunes a réussi, en quelque sorte, et le mal se transmet comme un savoir. Cette ronde des sourires et des rires est ce que le film nous impose de plus glaçant.
Ventre vide, ventre plein
La quête d’absolu et la quête de nourriture apparaissent souvent liées, en filigrane, chez Pasolini. Politiques en partie, les films mettent l’accent sur l’écart entre la bourgeoisie et la classe prolétaire. C’est explicite dans Théorème, qui s’ouvre sur une usine vide, qu’un patron vient de léguer à ses employés. Ce patron, c’est le père de la famille que vient visiter le bel étranger. À son arrivée, le film bascule du noir et blanc à la couleur. Le dernier plan nous montre ce père (Massimo Girotti), errant nu dans un désert, en hurlant. Ce cri révèle un manque impossible à combler. Un an auparavant, Œdipe roi s’achevait sur le même cri primal, et Franco Citti courait dans un désert semblable. Leur soif d’absolu est désormais impossible à étancher.
Accattone mêle constamment les registres – le quotidien et l’héroïque, le sacré et le profane, le haut et le bas. Charmeur, inventif, Accattone transforme une expédition pour dérober un plat de spaghetti chez l’habitant en farce façon maître Renard, gardant tout le butin pour lui, pour la beauté du geste. Autour de la mamma qui fait cuire les pâtes, les rires qui fusent sonnent sur un mode angoissé, un cri de famine, entre réjouissance et épuisement nerveux.« La faim, c’est un vice. On nous a éduqués à avoir faim », philosophe Accattone, faisant comme si l’humour pouvait tenir la faim à distance. Pour quoi mourra le fier Accatone ? Pour le vol d’une cargaison de mortadelle.
Le court-métrage La Ricotta (1963) a paru, à sa sortie, blasphématoire. Pasolini filme un tournage de la Crucifixion, avec Orson Welles à la mise en scène. L’un des figurants, qui incarne le troisième larron crucifié, meurt littéralement de faim. « Question de vocation. La mienne, c’est de mourir de faim », résume-t-il lucidement. Lors d’une pause, il vole un chien, le revend et se procure un gros paquet de ricotta, qu’il dévore à belles dents, sous les rires des autres acteurs. L’ingestion trop rapide, le soleil trop cuisant et la durée des plans ont raison de lui : sur la croix, il meurt pour de vrai.
Dans Mamma Roma, la mère désire que son fils devienne serveur dans un bon restaurant. Le voir vêtu d’un bel habit, virevolter entre les tables en apportant les plats de pâtes la comble de fierté. Courte durée, car le garçon ne s’habitue pas aux horaires de travail et préfère retourner dans la rue, où la vie et l’amour passent plus agréablement.
Dans Des oiseaux petits et gros, la nourriture prend une forme moins appétissante : le père et le fils, à la fin du film, dévorent le corbeau, sans autre forme de procès. Ne reste qu’un petit tas de plumes, avec ce dicton pour épitaphe : « Les professeurs, on les consomme à la sauce piquante, disait Giorgio Pasquali. Mais celui qui les mange et les digère devient en partie lui-même professeur. » Sèche, implacable, la philosophie de ces drôles d’oiseaux conclut que les pauvres ne font que passer d’une mort à une autre. L’esprit brille mais ne nourrit pas.
C’est dans Salò ou les 120 Journées de Sodome que le remplissage du ventre s’effectue en cercle bien clos, par ingurgitation de merde en grande quantité, présentée à table et sur assiette, comme des mets de choix que les jeunes gens doivent finir jusqu’à la dernière bouchée. Ces scènes s’étirent et se répètent, sur un bon tiers du film, suscitant naturellement l’écœurement.
Dans Le Décaméron, un jeune premier tombe la tête la première dans une cuve de merde ; dans Mamma Roma, l’un des personnages, à l’asile, lance : « J’ai rêvé que j’étais dans le cercle de la merde parce que je puais. » Au-delà de la dénonciation de la consommation de masse, cette présence matérielle à l’écran possède une force hypnotique.
Le temps n’est rien d’autre
D’un temps réel, gros de déceptions, à un temps mythique, dur et sauvage, l’écart se creuse sans retour possible. Pier Paolo Pasolini peint des temps antiques qui n’ont jamais eu lieu, en leur donnant une présence extrêmement incarnée, quotidienne3. Lecteur de Mircea Eliade, Pasolini rend au mythe sa qualité de temps primordial. Médée, en particulier, saturé des couleurs du couchant, possède un éclat noir et doux, encore plus troublant pour nous que Salò ou les 120 Journées de Sodome. À Jason, le centaure dédoublé parle ainsi :
Tu as connu deux centaures. L’un, sacré, quand tu étais enfant ; l’autre, profane, une fois adulte. Le sacré reste aux côtés de sa forme profane. Ce vieux centaure ne parle pas, car sa logique est si différente qu’on ne le comprendrait pas. Mais je peux parler pour lui, c’est sous son signe qu’en réalité, en dehors de tout calcul, tu aimes Médée.
« Rien ne pourrait empêcher le vieux centaure d’inspirer des sentiments que moi, le nouveau centaure, j’exprime », dit-il également. La cassure des temps n’empêche pas la représentation, le mythe conservant sa puissance et sa réalité en soi. Pour l’homme antique, mythes et rituels sont des faits concrets, qui concernent sa vie quotidienne.
Dans La Ricotta, par une mise en abyme, Pasolini fait lire à Orson Welles un extrait du scénario de Mamma Roma, où figure l’un de ses poèmes de jeunesse :
À la tradition va mon amour
Je viens des ruines, des églises
Des retables, des bourgs
Oubliés des Apennins
Ou des Pré-Alpes
Où vécurent nos frères.
Peu avant sa mort, Pasolini a écrit quantité d’articles, auscultant en sociologue la société italienne :
Selon moi, l’Italie vit aujourd’hui quelque chose d’analogue à ce qui s’est produit en Allemagne à l’aube du nazisme. En Italie aussi l’on assiste actuellement à ces phénomènes d’homologation et d’abandon des anciennes valeurs paysannes, traditionnelles, particularistes, régionales, qui furent l’humus sur lequel grandit l’Allemagne nazie4.
Pour Pasolini, les nouveaux Italiens ne savent que faire du sacré. Quant au sentiment, ils sont en train de s’en libérer rapidement. Le manque du sentiment que la vie d’autrui est sacrée rend la vie sociale et politique extrêmement dangereuse. C’est ce constat halluciné que dresse, sur un mode stylisé, Salò ou les 120 Journées de Sodome, qui fait référence à la république de Salò dirigée par Mussolini, au marquis de Sade et à l’Enfer de Dante. Mais, dans les films mythiques, la mélancolie tenace, vive, donne également cette belle impression de soleil mort5. Écoutons Maria Callas-Médée confier, doucement : « Je regarde le soleil, je ne le reconnais pas. »