Université et enseignement supérieur : un labyrinthe financier

Entre sujets tabous, sensibles ou qui fâchent, tout débat sur les aspects financiers de l’enseignement supérieur est bloqué. Qui doit être public ou privé, d’accès gratuit ou par frais d’inscription, qui finance et au profit de qui, quels projets restent lettre morte et quels autres trouvent leur financement ? La répartition des moyens obéit-elle à une logique, et est-elle équitable le cas échéant ? Ni le monde politique, ni celui des médias, ni les futurs étudiants et leur famille ne savent répondre simplement à ces questions. Parcoursup et Mon Master, sans le dire officiellement : 1) actent le fait que le bac est devenu un diplôme de fin d’études secondaires donné au plus grand nombre (91,8 % de reçus en 2025, presque 80 % d’une génération), cessant d’être un passeport sans visa pour les études supérieures ; 2) confèrent plus ou moins aux universités le droit de sélectionner en partie leurs étudiants. Cela ne suffira pas.

B. M. d’I.

De quoi s’agit-il ?

L’éducation supérieure française recouvre les universités, les grandes écoles, les sections techniques supérieures (STS) et les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). On connaît ses dépenses par le Compte de l’éducation1, et par l’OCDE pour les comparaisons internationales2. La France ne diffère pas de la moyenne de l’OCDE, en y consacrant 1,6 % de son PIB (1,1 % sur fonds publics et 0,5 % privés). Les États-Unis y allouent presque 2,5 %, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie 2 % (tableau 1).

Dans tous les pays de l’OCDE, l’éducation supérieure fait de plus en plus appel aux fonds privés. Pour situer les montants et les priorités, l’objectif actuel de dépenses d’armement s’élèverait à 3 % du PIB à court ou moyen terme, soit le double de l’effort actuellement consenti pour les études supérieures. La dépense globale, autour de 45 milliards d’euros (Md€), diffère du budget du ministère de l’Enseignement supérieur (26,7 Md€) et l’origine des fonds est souvent méconnue. Il convient de remarquer un transfert régulier du financement de l’État vers les entreprises – du public vers le privé, donc. La part de l’État (60 %, surtout enseignants et bourses) est en forte baisse (- 10 points depuis 15 ans), celle des collectivités locales (8 %) en faible baisse, celle des entreprises (18 %, alternance) en forte hausse de 10 points et celle des étudiants (10 %) en très légère augmentation.

En moyenne, un étudiant coûte environ 13 000 € par an. Mais ce chiffre varie entre 6 000 et 12 250 € à l’Université, monte à 16 730 € dans une section technique, à 18 560 € dans une classe préparatoire et à plus de 20 000 € en médecine. Le rapport du CAE sur l’enseignement supérieur3 a situé les différences de coûts entre les formations. Un diplôme complet d’ingénieur coûte environ 60 000 € (six ans), soit trois fois plus qu’un DUT (deux ans), six fois plus qu’une licence en langues ou en littérature (trois ans) et quatre fois plus qu’un master de droit (cinq ans). Ces différences s’expliquent en quasi-totalité par deux variables : le taux d’encadrement et le volume horaire de cours attribué à l’étudiant, et un peu aussi par la présence d’équipements techniques en médecine ou en ingénierie par exemple. À l’Université, un étudiant reçoit 16 heures de cours par semaine contre 40 dans une classe préparatoire. Les universités s’inquiètent de cet état de fait.

 

L’Université française au désespoir ?

Le monde universitaire se sent à bout de souffle. Son attractivité s’effondre face à la compétition intense des établissements et des États pour attirer les talents du monde entier. Deuxième pays d’accueil des étudiants étrangers en 1980, juste derrière les États-Unis, la France est aujourd’hui 7e, les pays anglo-saxons et l’Allemagne se situant en tête4. La dépense moyenne par étudiant diminue depuis 2010 (- 0,9 % par an en euros constants), surtout la part publique. En revanche, les coûts tendant à augmenter (+ 0,7 % par an), l’ensemble se trouve en déficit structurel. Le budget public de 2025 prolongera cette tendance (graphique 1).

La situation financière de la France et les nouvelles priorités lourdes, l’armement surtout, rendent illusoire tout espoir de redressement massif et durable pour nos universités. En 2024, 58 universités sur 70 affichaient un budget en déficit. Leurs parades restent classiques : réduire les subventions à la recherche, repousser les projets de nouvelles formations, diminuer voyages et participations aux colloques… toutes solutions hypothéquant l’innovation, donc l’avenir, au risque d’un décrochage progressif par rapport à un monde extérieur foisonnant.

Seules les universités d’Île-de-France ayant su se regrouper pour se diversifier, investir dans la recherche et l’internationalisation, parfois dans la douleur, atteignent une place prestigieuse dans les classements internationaux (Shanghai, THE5) et s’y maintiennent. Ainsi PSL (Paris Sciences et Lettres, 42e), Sorbonne Université (64e) et l’Institut polytechnique de Paris (71e), selon le Times Higher Education. Nos universités subissent une concurrence sévère de la part des établissements anglo-saxons, plus riches et plus libres, et des nouveaux arrivants (Brésil, Singapour…). Exemple type : créée en 2019, PSL, conglomérat hétéroclite des établissements les plus prestigieux tels le Collège de France, Dauphine-ParisTech, l’ENS Ulm, l’École des Chartes, les Mines Paris, ESCPI Paris, l’Institut Curie et le Conservatoire national d’art dramatique, a pu se hisser au premier rang en France.

Augmenter l’accès des universités à des ressources privées reste tabou. Leurs dirigeants revendiquent « l’universalisme, l’ouverture et la libre circulation des savoirs, dans l’esprit des Lumières », ce qui, soit dit en passant, est bien vague. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État soutiennent le cas échéant cette revendication de quasi-gratuité d’accès et d’universalité en contribuant à l’échec des projets de droits d’inscription élevés réservés aux étrangers et de caution de retour.

Les étudiants qui le peuvent fuient de plus en plus vers des formations payantes, en France ou à l’étranger : vers les écoles de commerce, les bachelors privés, la communication, les prépas privées… Les places ouvertes dans des établissements privés ayant augmenté deux fois plus vite que celles du secteur public, l’effectif des étudiants du secteur privé est passé de 15 à 26 % du total entre 2000 et 20246.

Nous formons des mathématiciens, des scientifiques et des ingénieurs de renom, ce dont témoigne par exemple notre nombre de médailles Fields (équivalent du prix Nobel en mathématiques). La France en a reçu autant que les États-Unis depuis 1936, et deux fois plus que le Royaume-Uni. Beaucoup de ces scientifiques cherchent des jobs plus rémunérateurs en Suisse et outre-Atlantique. Plus de 20 000 d’entre eux ont fui vers la Silicon Valley. Nos ingénieurs créent ou dirigent des entreprises internationales, peuplent les grandes banques.

Les grandes écoles attirent les étudiants les plus travailleurs. L’Université, elle, reste secouée par des grèves récurrentes et par les mouvements inspirés autrefois par l’idéologie marxiste, plus récemment par celle du mouvement woke américain et par les débats liés à la guerre au Moyen-Orient, qui réduisent le volume des cours. Sa pauvreté relative lui interdit le plus souvent le développement massif de campus à l’étranger observé chez ses concurrents. Nos universités pourront-elles accueillir et financer, comme Aix-Marseille, les Américains rejetés par l’ire de Donald Trump ? N’ayant pas de patrimoine locatif propre, elles logent seulement 16 % de leurs étudiants par l’intermédiaire de places réservées au CROUS.

 

Étudiants étrangers : l’échange inégal

Enfin, les échanges d’étudiants avec l’étranger ne se font pas en notre faveur. La France en accueille environ 420 000, soit 14 % de nos 3 millions d’étudiants – un chiffre en constante augmentation. La moitié d’entre eux viennent d’Afrique (à part égale entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne), un cinquième d’Europe, la Chine se trouvant en troisième place (tableau 2). Les plus nombreux sont marocains et algériens. Moins de 10 % viennent du continent américain. Les deux tiers vont à l’Université et un sur cinq dans une grande école.

Être admis dans une université française constitue le premier motif d’obtention d’un titre de séjour chez nous, avant le regroupement familial. L’OCDE note la performance de certains, dont les Marocains en mathématiques, mais constate qu’en France, les élèves étrangers décrochent en moyenne de près de 10 points par rapport aux Français et plus que dans les autres pays d’accueil7. Les Africains vont surtout à l’Université, en général quasi gratuite d’accès, et les Asiatiques dans les écoles de commerce, exigeant souvent des frais de scolarité plus substantiels (tableaux 3 et 3 bis).

Les étrangers font vivre certains doctorats et participent à la recherche : ils soutiennent 40 % des thèses. Certains masters, peinant à remplir leurs promotions, font appel à l’immigration pour subsister. Nos universités accueillent en principe les étrangers en licence pour 2 770 € par an ou 3 770 € en master, sommes très inférieures au coût de ces études (tableau 4). Une majorité des universités les en dispense.

La liste des pays d’origine de nos étudiants étrangers et celle des pays d’accueil de nos ressortissants diffèrent singulièrement. Un peu plus de 100 000 Français étudient à l’étranger : au Canada, en Belgique, en Espagne, en Allemagne, en Suisse ou en Italie. Nos hôpitaux embauchent des médecins formés en Roumanie pour échapper au numerus apertus. Ainsi l’Espagne a-t-elle créé des universités ultramodernes, qui dispensent des cours en anglais de médecine, de dentisterie, de kinesthésie, etc., tirant parti de l’insuffisance des formations médicales ou du manque de moyens de certaines de nos universités et de la reconnaissance mutuelle des diplômes en Europe pour exporter ses services. De même pour la Suisse, qui offre de prestigieux sites de formation technique ou hôtelière à Lausanne et Zurich.

Quelques exemples de frais d’inscription sont parlants. L’Université européenne de Madrid facture aux étrangers une année de scolarité entre 6 000 et 15 000 € au niveau bachelor (contre 1 345 € pour les nationaux) et 23 000 € au niveau master. Une année à Oxford, plus prestigieuse, coûte quant à elle 35 260 £ en bachelor et 59 260 £ en master ! Les pays les moins chers restent l’Allemagne, le Portugal, les pays nordiques ou la Roumanie, où étudier en médecine ou en pharmacie coûte annuellement entre 3 200 et 5 000 € en bachelor et 3 800 et 7 000 € en master.

Cerise sur ce pudding amer, les universités anglo-saxonnes accordent souvent des bourses au mérite pour attirer les dossiers brillants. Elles offrent aussi une chambre à loyer réduit, donc une vie sociale, sur leur campus aux étudiants de première année, pour les intégrer et les préparer à une colocation les années suivantes. Enfin, au Royaume-Uni, la SLC (Student Loans Company), organisme public, attribue automatiquement à tout étudiant un prêt à long terme et à remboursement différé garanti par son futur salaire.

Compte tenu des frais d’inscription exorbitants aux États-Unis, au Royaume-Uni ou ailleurs (tableau 6), les Français partant à l’étranger se répartissent en trois catégories : 1. ceux qui viennent d’une famille riche ; 2. ceux dont le dossier est d’un niveau assez élevé pour espérer une bourse de la part de l’université sollicitée ; 3. ceux qui sont assez brillants pour se sentir capables de rembourser un lourd emprunt étudiant. En majorité, ce sont donc des étudiants de niveau élevé. Les universités anglo-saxonnes n’apparaissent ni dans les dix premières destinations de nos étudiants ni dans les dix premières origines de ceux que nous recevons. Barrière de la langue ou du coût ? Au contraire, nos échanges avec l’Italie et l’Espagne sont ceux qui progressent le plus.

On ne saurait donc parler d’échange à égalité. Nous accueillons en moyenne à bas prix des étudiants étrangers de niveau faible ou moyen et envoyons à l’étranger des Français de niveau élevé contraints de payer cher. L’accès aux universités, aux classes préparatoires scientifiques et autres structures publiques françaises s’apparente alors soit à une aide au développement, soit à une promotion déguisée de la langue française, pour une partie des Africains par exemple, soit à une grande générosité à l’égard des Australiens ou des Asiatiques, auxquels des formations de qualité équivalente en Angleterre ou en Amérique coûteraient très cher. Les contribuables français auront financé les études des étrangers alors que les pays accueillant des Français d’origine bénéficieront de l’apport de nos scientifiques, médecins… à leur croissance, leur R & D et leurs impôts.

Nos formations d’ingénieurs et de scientifiques, par exemple, jouissent d’une grande réputation ; notre pays conserve son attrait par sa culture et la qualité de ses chercheurs, alors que nos classes préparatoires et écoles sont souvent d’un coût dérisoire pour ces étudiants étrangers. Nous souhaitons au contraire envoyer nos étudiants en majorité dans certains pays dotés d’universités prestigieuses, celles qui se tiennent en tête des classements internationaux, mais dont le coût devient prohibitif compte tenu des différences croissantes de niveau de vie avec, notamment, les États-Unis et la Suisse. Les formations en finance et en gestion d’Oxford ou de la London School of Economics se financent en partie grâce à la masse de leurs étudiants chinois ou autres Asiatiques. Au Royaume-Uni, les tuition fees ont explosé pour les Européens depuis le Brexit. Toutes ces universités étrangères tirent en partie leurs moyens de développement des tuition fees apportés par leurs étudiants étrangers et peuvent alors se payer le luxe d’offrir des campus bien équipés et des bourses aux dossiers, même étrangers, qu’elles souhaitent attirer.

 

Le maquis des statuts et des libertés

Aucune logique, autre qu’historique ou bureaucratique, ne semble présider au statut et au financement des études supérieures en France. Le cursus des universités se déroule en trois années de licence, ou bachelor, plus deux années de master. Celui des grandes écoles en deux ou trois années de classe préparatoire plus trois années d’école et éventuellement encore deux années de master. Sans compter les redoublements, très fréquents durant les premières années à l’Université où seuls 30 % des étudiants passent le cap de la première année.

Les universités, en majorité publiques, relèvent en général du ministère de l’Enseignement supérieur et ne contrôlent ni leurs frais de personnel ni les frais d’inscription qu’elles peuvent demander à leurs étudiants. Elles ont acquis une petite marge de manœuvre grâce aux chaires ou masters créés avec des entreprises. Excepté celles à statut spécial, comme Paris-Dauphine-PSL et Sciences Po, et les universités privées comme la « Catho » de Paris ou de Lille, qui les fixent librement. Ces libertés permettent à ces dernières de pratiquer des tarifs différents selon le revenu des parents, donc une heureuse redistribution au profit de bourses ou d’exonérations de frais d’inscription. Dauphine a créé deux campus à Londres et à Tunis ainsi que deux diplômes à Madrid et à Francfort, et l’IEP un réseau de six campus en province. Les frais d’inscription universitaires pour les Français et les Européens restent sans rapport avec le coût de ces études. Le budget des universités publiques dépend donc des moyens accordés par le pouvoir central et du nombre de leurs étudiants.

Le monde des grandes écoles a le privilège de pouvoir sélectionner ses élèves en deux temps : à l’entrée des classes prépas puis par les concours d’entrée aux écoles. En faire partie exige de grandes capacités de travail et une forte volonté.

 

Le monde des écoles d’ingénieurs

La plupart des écoles d’ingénieurs ainsi que les prépas scientifiques, dans les lycées (dont le Prytanée militaire de La Flèche), sont publiques et rattachées à des ministères différents. Plus anciennes, beaucoup datent du xixe siècle. La moitié, sous tutelle de l’Enseignement supérieur, demandent 618 € par an, comme les UT (Compiègne) et les Arts et Métiers-ParisTech, et vivent donc directement de fonds publics. Une trentaine dépendent d’autres ministères comme celui de l’Économie et des Finances (Institut Mines-Télécom Paris et son réseau de province, l’ENSAI dépendant de l’ISEE), de l’Armée (Polytechnique, par ailleurs intégrée à l’université Paris-Saclay, Saint-Cyr, l’École navale et l’École de l’Air et de l’Espace) ou de l’Agriculture (AgroParisTech). Leurs tarifs dépendent alors de leur ministère de tutelle, et varient de 1 500 à 3 300 € environ par an. Les écoles d’ingénieurs privées (ESILV, CESI, ÉPITA…) sont libres de leurs tarifs, qui dépendent de leur réputation, leurs infrastructures, leur réseau de partenaires internationaux, et se situent entre 3 500 et 11 000 € par an.

Ces écoles, publiques ou privées, offrent souvent un réseau en province et des campus à l’étranger. Les parisiennes surtout, plus chères, conservent un grand prestige à l’étranger, qui emploie volontiers leurs poulains. C’est par exemple le cas du groupe Centrale qui, depuis la création de l’École centrale en 1829 puis sa fusion avec Supélec en 2015, créant Centrale-Supélec de Paris, compte quatre écoles de province (Lyon, Lille, Méditerranée et Nantes) auxquelles viennent s’ajouter des campus à Pékin, à Casablanca et à Mahindra en Inde. Il offre à ses élèves et à ceux de l’extérieur 5 masters de recherche, 20 masters spécialisés et 7 laboratoires de recherche ainsi que des associations pour échanges avec les universités locales.

L’État sait même parfois utiliser les incitations financières pour assurer ses recrutements ! Il verse alors à ses élèves, ayant déjà un statut de fonctionnaire, un salaire de 1 300 à 1 660 € brut par mois contre un engagement à le servir durant dix années à l’issue des études. Exemples significatifs : l’X, l’INSP (ex-ENA), l’ENTPE, Navale, l’École de météorologie, celle de la magistrature…

L’offre de places au sein des écoles d’ingénieurs reste très inférieure à la demande des élèves et à celle de l’économie, qui explose en aéronautique, réindustrialisation, transition énergétique et nucléaire, intelligence artificielle bien sûr, agroalimentaire, recherche biomédicale… Le rapport Draghi8 insiste sur le déficit de compétences de l’Europe en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques.

 

Le monde des écoles de commerce

Les écoles de commerce, souvent créées plus récemment par les CCI (Chambres de commerce et d’industrie, alors dites « consulaires »), sont presque toujours privées. Ces écoles développent depuis 2010 de nombreux bachelors (post-bac, en trois ans) adaptés aux attentes des entreprises. Les plus prestigieuses recrutent après une prépa, et les plus techniques en post-bac pour un cursus en cinq ans. Les tarifs varient de 8 000 à 20 000 € par an, couvrant donc à peu près les coûts. En moyenne, les frais de scolarité dépassent 45 000 € pour les trois premières années. Dans les trois premières parisiennes – HEC, l’ESCP et l’ESSEC –, ils se situent entre 60 et 70 000 €. Par exemple, SKEMA Business School propose les trois années d’école à 9 500 € par an et les deux années de master à 38 000 €. Elle attire près de 50 % d’étrangers et possède une résidence étudiante de 350 places qui les accueille en priorité. Plus encore que les écoles scientifiques, les écoles de commerce offrent une ouverture internationale et se déploient dans le monde, donnant moult possibilités d’échanges. Une année ou un semestre à l’étranger et un stage long font en général partie du cursus.

Leurs frais d’inscription ont beaucoup augmenté récemment : pour compenser la baisse du financement par les Chambres de commerce, par leur volonté de rester compétitives, exigeant des investissements lourds en réseau de province et surtout international, pour créer et animer un réseau d’alumni (anciens élèves), pour recruter des professeurs de renom, parce que les salaires à la sortie sont élevés… Elles apparaissent donc rentables pour les candidats. Mais l’offre reste supérieure aux admissions. Plusieurs d’entre elles, les moins chères, n’ont pas rempli les places offertes aux concours cette année, témoignant de l’attrait pour les formations chères et réputées de qualité donc rentables pour les candidats. Ce groupe, par exception, semble obéir aux mécanismes de marché !

Une seule école de communication, le CELSA de Sorbonne Université, est publique. L’Institut pratique du journalisme est une filiale de Dauphine (master). Les autres (ISCOM, Sup de pub, Audencia… autour de 8 500 € par an) sont privées.

Le recrutement des grandes écoles reste plus marqué par le genre que celui des universités : plus d’hommes en finance, technologie, intelligence artificielle et gestion de data ; plus de femmes en ressources humaines et marketing, communication, éducation et santé.

 

Le succès des prépas et de l’alternance

L’attractivité des prépas scientifiques et commerciales se confirme : la quasi-totalité de leurs élèves intègrent une grande école puis obtiennent un master en deux ans. Grâce au fort encadrement et à la formation intellectuelle et méthodologique qu’elles dispensent, à la maîtrise des langues étrangères qu’elles permettent ainsi qu’ à l’intense charge de travail qu’elles exigent, elles tiennent leurs promesses. Certes, les enfants de cadres et professions supérieures y occupent près de la moitié des places, mais, pour les enfants d’ouvriers qui y entrent, elles constituent un fort ascenseur social. Elles ont donc une incontestable rentabilité pour la société.

Les prépas publiques des lycées sont par principe gratuites. Sainte-Geneviève (Ginette), prépa privée à Versailles, championne des intégrations aux écoles les plus prestigieuses, impose des frais allant de 5 900 à 19 500 € par an, sur deux ou trois ans donc, internat obligatoire compris, selon le revenu des parents et la bourse éventuelle. Stanislas, privé et presque aussi prestigieux, coûte 2 700 € par an. L’inscription à Ipesup ou à La Prépa autrement, prépas privées de création récente offrant un fort encadrement, coûte quant à elle 14 300 € par an.

La différence de statut, analogue à celle des écoles, est saisissante : parmi les 10 meilleures prépas scientifiques, 3 sont privées ; parmi les 10 meilleures prépas de commerce, 8 sont privées. Enfin, une vingtaine d’universités proposent un cursus renforcé (25/30 heures par semaine), sélectif et par groupes restreints (de 30 ou 40), en deux ou trois années (CUPGE), préparant en même temps aux concours des écoles scientifiques ou à une licence puis un master universitaire.

L’alternance (l’apprentissage dans le supérieur), dont les élèves sont environ 600 000 dans le supérieur sur un million d’apprentis, remplace une partie des cours classiques. Elle satisfait l’appétence précoce de certains élèves pour l’entreprise, et est souvent suivie d’une offre d’embauche. L’employeur finance les droits d’inscription et verse une rémunération de base légale fixée en pourcentage du SMIC (environ 60 %), couvrant les frais de la vie courante. La formule connaît un grand succès récent en facilitant l’accès aux études supérieures à des élèves qui rencontrent des difficultés de financement. Elle permet d’injecter à la fois l’argent public du ministère du Travail, qui finance les subventions aux entreprises pour les inciter à accueillir les élèves, et l’argent privé des employeurs, qui versent le salaire.

 

Les exemples étrangers

Autour de nous règne aussi la diversité, mais quelques tendances se dégagent. Dans tout l’OCDE, le rôle du secteur privé augmente, même s’il reste minoritaire hors États-Unis, Royaume-Uni et Australie (tableau 1). En toute logique, les droits d’accès aux études supérieures varient parfois avec le contenu des études : ils sont plus élevés dans les sciences dures, à l’instar de l’ingénierie et de la médecine, exigeant plus de moyens, comme l’illustre l’exemple de Cambridge (tableau 5).

À l’intérieur de l’Union européenne, les tarifs peuvent être les mêmes pour les nationaux et pour les étudiants venant de pays membres, une similitude logique en raison de la libre circulation et de la reconnaissance mutuelle des diplômes. Ensuite, beaucoup de pays exigent des étrangers des tuition fees plus – et souvent beaucoup plus – élevés (tableau 6). C’est reconnaître que la famille des arrivants ne règle pas ses impôts dans le pays d’accueil et / ou faire de l’enseignement supérieur un service hautement qualifié à exporter. Quelques pays enfin ajustent les fees demandés au revenu de la famille du candidat estimé en ISEE (equivalent economic situation indicator). Par exemple, à l’École polytechnique de Milan, les frais d’inscription varient entre 890 et 3 893 € par an pour un undergraduate italien ou européen et se situent au maximum pour un étranger extra-européen.

Certains pays ont fait une spécialité de l’accueil des étudiants étrangers, disons dans une logique d’exportation de l’enseignement supérieur. C’est le cas depuis toujours des riches universités américaines, par exemple Chicago ou Harvard, qui attirent les meilleurs étudiants du monde entier (le fameux brain drain), dont les bourses peuvent atteindre la moitié des tuition fees. Le Department of Commerce les qualifie de « facteurs de croissance, de recherche et d’innovation » et y voit un bon secteur d’exportation des États-Unis ! Au Royaume-Uni, les fees élevés des étudiants étrangers, surtout chinois ou indiens, inscrits en gestion et en finance atteignent 20 % du budget des universités. C’est même plus de 30 % au King’s College ou à UCL, à Londres. Le Brexit leur a fait perdre 20 à 40 % de leurs étudiants européens, dont les tuition fees ont triplé, mettant certaines en déficit… L’Australie organise aussi l’accueil des Chinois, Coréens et Vietnamiens, au point que leur présence augmente les loyers des villes universitaires et que le contenu des études s’adapte parfois aux aspirations de ces clients – par exemple en délivrant certains cours en chinois…

Aujourd’hui, le modèle universitaire du Royaume-Uni et des États-Unis, bénéficiant des budgets par étudiant et imposant les frais d’inscription les plus élevés au monde, se trouve remis en cause (tableau 1). Les moyens financiers des établissements de ces deux pays fondent : par la non-réévaluation de leurs dotations publiques selon l’inflation et la perte d’étudiants européens au Royaume-Uni ; par l’annulation de subventions de recherche et la remise en cause de leurs avantages fiscaux aux États-Unis. Trop de dépenses injustifiées, trop de gaspillage, trop d’inégalités, un endettement excessif de diplômés ne trouvant plus les emplois répondant à leurs attentes, leur reproche-t-on9. Une administration pléthorique (parfois la moitié de leurs emplois) et politisée, voire dictatoriale aux États-Unis. Une concurrence féroce pour attirer les étudiants étrangers riches aboutissant à des campus gigantesques et luxueux (sports, activités ludiques…). Un meilleur encadrement (14 étudiants par enseignant dans les universités de l’Ivy League aux États-Unis contre 20 en Australie). Des dépenses de recherche excessives pour monopoliser les premières places dans les classements internationaux. La liste des dix premières universités mondiales compte en général cinq Américaines, quatre Anglaises et une Suisse10. Le tout au profit des élites internationales et au détriment des candidats locaux ou de l’exigence d’efficience, dit-on. Trop, est-ce trop ?

 

De troublantes certitudes

Quelques certitudes se dégagent de ce rapide tour d’horizon. D’abord, tout l’espoir d’unifier et de rationaliser ce labyrinthe français bureaucratique et hétéroclite reste utopique. Espérons au mieux des dynamiques de convergence. Ensuite, n’attendons plus un effort substantiel du budget de l’État pour sauver les universités. La sécurité, la justice et l’armement absorberont les maigres ressources dégagées par notre faible potentiel de croissance. Le glissement vers un financement privé de l’enseignement supérieur, seule planche de salut, se poursuivra ou s’accentuera. La demande des établissements dynamiques comme des étudiants ou élèves pousse en ce sens. Ensuite, la pression de la concurrence internationale ne peut que devenir plus prégnante.

Plus grave, la persistance des inégalités dont souffrent une partie des jeunes. Depuis l’œuvre de Pierre Bourdieu11, de nombreux travaux confirment en effet l’ampleur et la permanence de la « reproduction sociale » dans l’éducation supérieure en France :

1. Les formations les plus coûteuses à mettre en œuvre (densité de l’encadrement, équipement technique, implantation en région parisienne) sont aussi les plus rentables – le revenu accumulé par les étudiants au cours de leur vie active étant nettement supérieur. Ainsi des écoles d’ingénieurs et de commerce, des masters, des DUT / BTS et de manière générale des sciences dures – mathématiques, médecine, ingénierie.

2. Les étudiants issus de familles aisées ou à patrimoine culturel ou social distinctif (les enfants d’enseignants, par exemple) bénéficient à la fois de plus d’argent public et de plus d’argent privé – trois fois plus – au cours de leurs études supérieures. Ils accèdent aux formations les plus rentables en payant de modestes frais d’inscription – classes préparatoires des lycées, universités prestigieuses et écoles d’ingénieurs.

L’accès aux filières sélectives reste très inégalitaire du fait du soutien intellectuel et financier des familles et, plus surprenant, d’une différence d’aspirations, voire d’une forme d’autosélection : des filles vis-à-vis des maths, par exemple12, ou des enfants issus de classes moyennes de petites villes vis-à-vis des formations en région parisienne. Mais le revenu semble jouer un rôle déterminant : 20 % des enfants de familles du bas de l’échelle, contre 90 % de ceux des familles les plus riches, entrent dans l’enseignement supérieur. L’amertume individuelle des exclus se combine alors avec une dramatique perte de talents pour l’économie et pour notre pays. Ces inégalités sont plus marquées en France qu’en Europe et, fait surprenant, autant qu’aux États-Unis13. La faiblesse des frais d’inscription et le système relativement généreux des bourses en France ne suffisent pas à résorber cette injustice, souvent peu reconnue.

3. Pour les familles aisées, il n’est guère d’investissement plus rentable, financièrement comme intellectuellement, que les études de la jeunesse de sa famille ou de la nation.

 

Suggestions

Que suggèrent les exemples de réussite, en France comme à l’étranger ? D’abord, que le succès dans le supérieur exige plus de liberté pour expérimenter, pour diversifier les réponses aux besoins des étudiants et de l’économie, et des moyens financiers considérables. Ensuite, qu’il faut introduire plus de justice dans le système pour répondre aux attentes légitimes de la société française. Suggérons trois idées :

1. La réciprocité dans les échanges d’étudiants avec l’étranger, en faisant payer cher et sans états d’âme les étudiants venant de pays extra-européens pour apporter de l’argent frais à nos universités. En la matière, regardons la réalité au lieu de poursuivre d’interminables débats idéologiques sur le thème : « gratuité, égalité des chances pour tous. »

2. Pas d’impôts nouveaux, exige la droite ? Faire payer les riches, revendique la gauche ? Alors pourquoi ne pas créer des mécanismes de marché et de redistribution vis-à-vis des familles selon les principes de la social-démocratie ? La willingness to pay des Anglo-Saxons aurait cet effet, en autorisant les établissements publics à développer de nouvelles formations payantes avec une grille de tarifs adaptée au niveau de revenu des familles (ce que fait Sciences Po) ou des pays des candidats, c’est-à-dire une vraie redistribution au mérite. Cela permettrait à la fois d’attirer de bons dossiers venant de familles peu aisées et de donner à l’établissement plus de moyens en « taxant » les familles aisées.

Serait-ce plus efficace que des bourses attribuées aujourd’hui sans rapport ni avec la qualité des cursus ni avec leurs perspectives de rendement professionnel ? Le prix plus élevé des nouvelles formations donnerait des moyens de développement et attirerait les familles aisées. L’exemple de Harvard, de Chicago ou de Dauphine devrait nous convaincre. Comme celui de Sciences Po Paris, qui tire environ le tiers de ses ressources des frais d’inscription. Entrer dans son double diplôme créé avec Columbia University coûte entre 0 et 14 720 € par an à ses étudiants européens selon le revenu de leur famille, 13 000 € aux Extra-Européens pour les deux années en France puis 60 000 $ par an pour les deux années aux États-Unis.

3. Enfin, nous pourrions orienter une partie de l’abondante épargne des Français vers un programme massif de logements étudiants, proches des grandes universités ou écoles, réservés aux étrangers, aux provinciaux ou aux ruraux, pour lesquels les loyers et le parcours du combattant pour trouver une chambre à la rentrée constituent une source majeure d’inégalité d’accès aux études supérieures. Le modèle de la Cité universitaire de Paris et celui des campus anglo-saxons réservés aux étudiants de première année paraissent des sources intéressantes de réflexion. Des fonds d’investissement sur le principe des « fonds verts » pourraient attirer les épargnants qui se disent si soucieux de donner un sens à leurs placements. Placer son argent dans des résidences étudiantes plutôt que dans des industries dites vertueuses en émissions de CO2 et demain dans l’industrie de défense, pourquoi pas ? Quoi de mieux pour des parents ou grands-parents que d’investir dans la jeunesse ? C’est aussi là la principale source de croissance à long terme, donc de rentabilité future.

Notes et références

  1. Compte satellite de la Comptabilité nationale, publié par la Direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Éducation nationale.

  2. OCDE, « Perspectives des migrations internationales », 2022 et « Regards sur l’éducation », 2024, consultables en ligne.

  3. G. Fack & É. Huillery, « Enseignement supérieur : pour un investissement plus juste et plus efficace », note 68, et H. Bennani et al., « Les coûts de formation dans l’enseignement supérieur français : déterminants et disparités », focus 74, Conseil d’analyse économique, 2021, consultables en ligne.

  4. Cour des comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur pour les étudiants internationaux », 2025, consultable en ligne.

  5. Le Shanghai Ranking, fondé sur les prix scientifiques et les publications, favorise les grands établissements tandis que le Times Higher Education est plus orienté vers la qualité de vie des étudiants.

  6. « Rapport de la mission parlementaire sur l’enseignement supérieur privé à but lucratif », 2025, consultable sur le site de l’Assemblée nationale.

  7. OCDE, « PISA 2022 results », 5 décembre 2023.

  8. M. Draghi, « Le futur de la compétitivité européenne », 2024, consultable sur le site de la Commission européenne.

  9. Federal Reserve Bank of New York, « The Labor Market for Recent College Graduates », 2025.

  10. MIT, Oxford, Stanford, Cambridge, Harvard, California University of Technologies, ETH, Chicago et UCL, par exemple, selon les années.

  11. P. Bourdieu & J.-Cl. Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Éditions de Minuit, « Le Sens commun », 1964.

  12. Académie des sciences, « Sciences : où sont les femmes ? », rapport publié le 18 juin 2024.

  13. Voir la note précitée du CAE, « Enseignement supérieur : pour un investissement plus juste et plus efficace ».

Thèmes abordés

Béatrice Majnoni d’Intignano

Béatrice Majnoni d’Intignano

Économiste, professeur agrégée des Universités, membre du Conseil d’analyse économique de 1997 à 2008.