J’ai honte d’être normalien

L’auteur de la lettre qui suit, étudiant à l’École normale supérieure de Paris, s’est vu contraint de recourir à l’anonymat, dans un contexte d’antisémitisme croissant et d’intimidation dans le milieu universitaire auquel l’École n’a pas échappé ; en témoignent les faits ici relatés, notamment l’occupation du 45 rue d’Ulm, sous le regard complice de la direction, jusqu’aux menaces de mort très explicites qui, quelques jours plus tard, résolurent cette dernière à faire appel à la police. Plus récemment encore, en juin, des étudiants issus dudit « Comité de soutien au peuple palestinien » ont lancé une pétition pour exiger le boycott pur et simple des universités israéliennes et un partenariat avec des « universités palestiniennes » (telles que celle de Birzeit, dont un grand nombre d’étudiants viennent d’être arrêtés pour activités terroristes), obtenant quelque 400 signatures, dont un nombre important de camarades et même de professeurs de l’étudiant.

Face à cette situation alarmante, indigne et scandaleuse, que nul n’osait évoquer pour les raisons énoncées précédemment, l’étudiant s’est cru devoir témoigner, pour lui et pour ses camarades vivant dans la peur, de cette longue descente vers le pire, depuis le 7 octobre, à l’École, comme dans l’ensemble de la société française, dans un silence assourdissant et coupable. Toutefois, il a dû renoncer à son nom face aux perspectives peu encourageantes d’un lynchage obligé pour celui qui ose s’opposer à la meute enragée des amis de Samidoun et consorts. Les murs de l’ancienne salle Raymond-Aron, couverts, pour la plus grande honte de l’illustre normalien, de drapeaux de l’OLP et de mains rouges de sang, brandies fièrement par les terroristes qui démembrèrent deux réservistes israéliens égarés à Ramallah en 2000, jetant leurs organes à la foule en liesse depuis la fenêtre du commissariat, n’annoncent que trop l’idéologie mortifère qui règne désormais en maître dans les lieux. Gageons qu’au moins, Raymond Aron serait heureux qu’une plume normalienne écrive ces lignes dans la revue qu’il a fondée, alors qu’il se dressait fermement face aux soutiens de Staline, dont les héritiers se sont actuellement faits les thuriféraires du Hamas.

Joseph Morreau

 

 

Paris, le 26 mai 2024

Madame, Monsieur1,

En tant qu’élève normalien de la promotion 2024, ayant assisté à la remise du diplôme du 24 mai dernier au Collège de France, je tenais à porter à votre connaissance les faits honteux et inadmissibles qui s’y sont produits, dans un contexte qui lui-même ne fait honneur ni à l’École ni à l’État dont, il faut le rappeler, les élèves normaliens sont salariés en tant que fonctionnaires stagiaires.

Certains amis ont eu ce mot à l’issue de cette cérémonie de la honte : « J’ai honte d’être normalien » – un mot juste et révélateur de ce qui se déroule en ce moment même en plein centre de Paris, à deux pas du Panthéon, au 45 rue d’Ulm, dans l’indifférence générale et qui fait mal aux oreilles de ceux qui croient encore au prestige de l’élite intellectuelle française formée aux grandes écoles, comme si les universités allemandes et autrichiennes des années 1930 ne leur avaient pas appris que hautes études, intelligence, courage et convictions morales ne riment pas forcément. Si « être normalien » signifie adhérer à ce que j’ai vu et entendu, sous les applaudissements unanimes de la direction et d’un grand nombre d’étudiants, alors, oui, j’ai honte d’être normalien, car je ne me reconnais pas dans l’absence totale d’esprit critique et l’antisémitisme abject des propos assenés comme des vérités qui se passent de preuves réelles et de faits concrets, l’antisionisme n’étant que le nouveau visage de l’antisémitisme.

Je citerai ici les mots fameux d’un illustre normalien, Vladimir Jankélévitch, dans les années 1970, paroles qui restent incroyablement d’actualité : « L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. » En un mot, si c’est devenu cela, « être normalien », je ne suis pas un perroquet du Hamas ni de toute organisation terroriste palestinienne qui, dans leurs chartes, affirment fièrement comme visée suprême la destruction complète du seul État juif et démocratique au Moyen-Orient, l’État d’Israël, qui, ne leur en déplaise, est internationalement reconnu. Je pense aux grandes figures de normaliens juifs, Jankélévitch que j’ai évoqué et Raymond Aron (dont la salle, QG du syndicat Solidaires rebaptisé salle Hélène-Legotien-Rytmann, est devenue le repaire de ces « militants » acquis à la « cause » des « martyrs » comme leurs prédécesseurs l’étaient à celle de Staline et de Mao en leur temps), qui doivent proprement se retourner dans leurs tombes.

Remontons au contexte avant d’exposer le déroulé de ladite cérémonie. Loin d’être un cas isolé, les faits survenus le 24 mai 2024 s’inscrivent dans un phénomène généralisé de remontée de l’antisémitisme et de la haine de l’État d’Israël qui, faut-il le remarquer, ose simplement se défendre après les pogroms commis sur son territoire le 7 octobre dernier. L’ENS ne fait pas exception à la règle et renoue avec une longue tradition de « militantisme » pro-palestinien et pro-BDS qui, en 2011, avait été combattu par la direction ; il semble que le vent ait désormais tourné. Ainsi a-t-on vu apparaître sur les campus de l’ENS et sur le groupe Facebook des étudiants normaliens « ENS Ulm intergénérationnel » un nouveau comité, officiellement désigné comme « Comité de soutien au peuple palestinien », mais qui ne cache pas son idéologie pro-BDS.

Les publications de ce « comité » sur Facebook, relayées sur le groupe Facebook des étudiants normaliens et de plusieurs associations telles qu’ENS en lutte ou MigrENS (association d’aide aux migrants), n’en font pas mystère : il y est par exemple question de réaliser une « Intifada étudiante » (banderole présente, avec le drapeau palestinien, sur une photo publiée le 6 mai sur la page Instagram d’ENS en lutte) – tout sauf un « soulèvement pacifique », mais une référence claire aux meurtres de civils israéliens et juifs dans les transports en commun, les restaurants, les rues, les discothèques, en somme partout sur le sol israélien (pas moins de 146 attentats suicides ont été recensés pour la seule année 2000), c’est apparemment le rêve de ces « militants » à l’ENS ! Sur la même photo, les étudiants (dont le visage est flouté) brandissent également la banderole « Sionistes hors de nos facs », preuve même de leur inclusivité et de leur sens du débat sans faille ! Voilà les chantres de la postmodernité où tout le monde a droit de parole sauf les juifs, qualifiés de « sales sionistes », insulte suprême.

On peut aussi citer l’organisation d’un séminaire, depuis janvier 2024 et sous les auspices de l’administration (les organisateurs ont pu réserver la salle Jaurès au 29 rue d’Ulm, ce qui nécessite évidemment l’accord de celle-ci), au titre absolument neutre, « Penser avec la Palestine », et aux intervenants tout aussi neutres, comme Bertrand Badie, soutien bien connu de BDS. On peut aussi ajouter l’exposition d’une banderole en Courô2, avec les noms des « martyrs tués par les bombes israéliennes », écrits par les élèves d’après le ministre de la Santé palestinien (sic), c’est-à-dire le Hamas, et lus chaque jour avec une dévotion mystique.

Un pas supplémentaire a été dernièrement franchi avec l’occupation pure et simple du campus historique de l’ENS, au 45 rue d’Ulm, à partir de cette semaine, et le campement d’une dizaine de tentes dans la Courô, avec drapeau palestinien, banderoles antisémites et projection de contenus et documentaires islamistes sur les tentes, relayés sur les différents groupes cités. Fait évoqué dans un excellent papier du Figaro paru jeudi dernier3, on trouve aussi la présence du groupe Samidoun, dont les tracts apparaissent manifestement sur les bancs de l’École occupée, et qui n’est autre qu’une organisation propalestinienne affiliée à l’Iran et dissoute en novembre dernier en Allemagne pour ses prises de positions antisémites, puisqu’elle soutient officiellement le Hamas et a glorifié dès le 7 octobre les terroristes du Hamas et les civils gazaouis ayant participé à ces massacres qui, doit-on le rappeler, ont coûté la vie à quelque 1200 personnes en Israël, dans les conditions indescriptibles que l’on sait. L’International Legal Forum a demandé que cette organisation soit déclarée comme organisation terroriste en Europe, comme cela a déjà été fait aux États-Unis et au Canada. Et on leur donne pignon sur rue à l’École normale !

C’est dans ce contexte d’une occupation on ne peut plus organisée, prévisible et non spontanée que nous, étudiants de la promotion 2024 comme l’ensemble des étudiants de l’École, recevons un courriel de l’ENS le jeudi soir, à la veille de la cérémonie de remise de diplôme, dans lequel la direction annonce que la cour aux Ernest est occupée depuis le mardi midi, que de multiples échanges ont eu lieu avec le « Comité » mais que, faute d’avoir trouvé un accord, l’École ferme ses portes :

Le dialogue étant désormais interrompu, ce que nous regrettons beaucoup, le maintien de l’occupation pose des risques sérieux de sécurité, et nous avons pris la décision de fermer le bâtiment du 45 rue d’Ulm (sauf à celles et ceux qui y logent) à partir de 17 heures 30 ce jeudi 23 mai et jusqu’à la levée de l’occupation. Ceci en vue d’un règlement pacifique de cette occupation.

Or, dans deux vidéos filmées jeudi soir et diffusées le lendemain sur Instagram depuis la Courô occupée, des étudiants masqués derrière les traditionnels keffieh arabes explicitent leurs revendications contre « le système d’apartheid en Palestine » et « le génocide en cours à Gaza », pour « le boycott des institutions et universités israéliennes », contre « la colonisation en Cisjordanie ». Les vidéos sont sous-titrées en anglais et leurs sous-titres sont loin d’être anecdotiques : tandis que les autres noms propres prononcés par les étudiants sont transcrits normalement, Israël est systématiquement présenté entre guillemets, comme si son existence était sujette à question et non établie. Le sous-entendu est clair, et il s’agit d’une remise en cause de la légitimité et de l’existence d’un État reconnu internationalement, contrairement à la « Palestine » qu’ils s’imaginent à la place.

Au vu de ces revendications, on peine à imaginer comment ce « règlement pacifique » pourrait se produire ; tout semble conditionné à « la levée de l’occupation », comme si la situation dépendait non pas de la direction mais exclusivement du bon vouloir d’une bande d’agités qui prend en otage l’ensemble de l’université et organise ses activités aux frais du contribuable, puisque bon nombre d’entre eux (mais pas tous, ce qui pose un autre problème : comment les autres sont-ils entrés ?) sont des élèves, donc des salariés de l’État. Nous sommes donc laissés à nous-mêmes, dans l’incertitude, quant à la tenue ou non de la cérémonie de remise de notre diplôme, censée clore nos années d’études dans la joie des retrouvailles entre camarades, idée qui semble déjà évidemment compromise… Ce n’est que le lendemain vers 8 h 30 que nous recevons un mail de l’équipe d’organisation de la cérémonie, qui nous annonce que nous sommes attendus à partir de 15 heures non pas au 45 rue d’Ulm mais au Collège de France, où la cérémonie se tiendra dans l’amphithéâtre Marguerite-de-Navarre.

Comme les autres étudiants de ma promotion, je me rends sur place à l’horaire indiqué. Nous y attendons avant de pouvoir entrer à 16 heures. Nous entrons tous, franchissons le contrôle de sécurité et nous installons. Peu de temps après, Frédéric Worms, directeur de l’École, commence son discours, axé sur la pensée critique que développeraient les élèves à l’ENS, leurs savoirs utiles au bien commun et au bien de la société. Sans jamais évoquer les massacres du 7 octobre ni les 252 otages (désormais 125) israéliens et étrangers à Gaza, dont des Français, et donc le déclenchement de la guerre par le Hamas (jamais nommé, de même qu’il ne l’a pas été dans son communiqué sur le 7 octobre, trois semaines après les massacres) et le contexte des opérations israéliennes en cours à Gaza, Frédéric Worms a exprimé sa compréhension des émotions suscitées par le contexte de « la guerre en Israël et à Gaza depuis le 7 octobre » et a appelé à la nécessité d’une réflexion accompagnée par l’École « dans le cadre de la recherche » « avec un séminaire de recherche ouvert à des praticiens ». Tout en affirmant que le cadre de la recherche est « fondamental », le directeur a poursuivi en disant qu’« on peut comprendre que certains souhaitent d’autres cadres (référence à l’occupation de l’École par les étudiants, donc légitimée de fait), mais qu’il ne faut pas fragiliser notre cadre et permettre que les débats débordent ». Ce cadre de la recherche étant « fragilisé », l’ENS a pris la décision de le « protéger », en d’autres termes d’accepter l’occupation de son campus par une dizaine de tentes en vue d’un débat inexistant, compte tenu des exigences des « militants ». Le ton était déjà donné et la complaisance de l’École, voire sa complicité, clairement affichée.

Commence alors la remise des diplômes à proprement parler et les étudiants montent sur l’estrade, par département ; huit parmi eux ont choisi de préparer un discours censé évoquer leur expérience à l’École. Six de ces huit élèves choisissent, en outre, de prendre position, de manière plus ou moins forte, pour l’occupation, le « Comité » et la « Palestine ». Le premier, représentant du LILA, département de littérature et de langues, arguant de son état de poète, se lance dans une longue tirade sur la liberté à l’École qui lui permet de « boire, manger, écrire n’importe quoi, de parler avec n’importe qui et où l’on peut parler de Palestine, grâce à des associations comme MigrENS, ENS en lutte, etc. » Premier tonnerre d’applaudissements, y compris de la part de tous les membres de la direction. Il ne pensait pas si bien dire à propos de « n’importe quoi », et on aimerait lui suggérer de tenter l’expérience dans Gaza sous contrôle du Hamas… Mais la mention des associations d’élèves de l’ENS liées à la « cause » dans son discours vient confirmer ce que leurs publications sur les réseaux sociaux affichent avec fierté : des activités et des objectifs communs de délégitimation d’Israël.

La deuxième élève aborde la question de manière indirecte, mais termine son propos avec « une pensée pour les occupants de l’École en ce moment, qu’ils puissent au moins profiter des petits fours pour qu’il n’y ait pas de gaspillage ».

Un étudiant en biologie loue l’occupation du couloir Jaune4 en 2016, faisant un rapide clin d’œil à l’occupation actuelle et aux revendications justes des étudiants, par le passé, au présent et à l’avenir.

Au moment où montent les étudiants en sciences sociales et en géographie, tandis que l’une d’entre eux s’avance pour entamer son discours, de manière tout à fait orchestrée, une autre, vêtue d’une robe rouge et d’un t-shirt vert, assise au premier rang, s’élance avec le drapeau palestinien qu’elle brandit en longueur devant son corps. Elle restera ensuite, semble-t-il, avec le même drapeau lors de la photographie officielle de promotion. Personne ne l’empêche de monter sur l’estrade, alors que c’est une étudiante du département des arts. Le photographe prend aussitôt des photographies et, sous le sourire complice des directeurs de section, à ses cris « contre l’invisibilisation de la lutte pour la Palestine, contre l’apartheid et le génocide à Gaza », viennent s’ajouter le son d’une trompette et les « On est là, on est là ! » scandés par des membres de la fanfare de l’ENS. Une question logique s’impose : comment l’étudiante avec son drapeau et ceux de la fanfare avec leur trompette ont-ils pu passer le contrôle de sécurité où les sacs étaient fouillés ?

Leur collègue, étudiante en médecine ayant fréquenté le département des sciences sociales de l’ENS, prend tout de suite, dans un élan fanatique, le relai de leurs revendications (son discours a été partagé depuis sur la page Instagram d’ENS en lutte) : « Vis-à-vis de ce qui se déroule en ce moment à Gaza, nous-mêmes et nos institutions avons un rôle à jouer. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. » En revanche, il lui semble tout à fait légitime d’omettre volontairement les massacres commis par les terroristes du Hamas et les civils gazaouis, la présence d’otages israéliens et étrangers à Gaza, l’attaque iranienne contre Israël dans la nuit du 13 au 14 avril, les roquettes toujours lancées depuis Gaza, Rafah et le Liban contre les civils israéliens – cela, selon elle, nous n’aurions pas seulement le droit mais également le devoir de ne pas le savoir. L’exemple même de la pensée critique louée par la direction.

Suit une attaque en règle contre la direction, pas suffisamment conciliante, et l’État, accusé de complicité dans le cadre d’un « génocide », absolument démenti sur tous les plans mais apparemment pas dans l’imaginaire normalien où règne le « n’importe quoi » des poètes en herbe (dommage que les faits soient têtus) :

Un génocide est en cours, nous ne pouvons fermer les yeux. En déplaçant cette cérémonie de diplôme loin de cette mobilisation étudiante, la direction ferme les yeux. En n’appelant pas au cessez-le-feu immédiat, les institutions ferment les yeux. En accueillant il y a trois jours le ministre israélien Katz, l’État français ferme les yeux.

Dans sa bouche, Israël n’est pas un État légitime et les membres de son gouvernement, démocratiquement élus, non plus ; le cessez-le-feu ne dépend pas du sort des otages ni des terroristes du Hamas, inexistants dans son discours ; la victime, renvoyée au rôle du « nouveau nazi » (ce qui a aussi le mérite de discréditer complètement la Shoah et s’apparente à du négationnisme, comme l’a montré Vladimir Jankélévitch dès les années 1970), ne saurait être entendue et il est ironique de l’entendre parler de « fermer les yeux », exactement comme Cate Blanchett à Cannes, alors que, si quelqu’un a les yeux « grands fermés », c’est bien elle, et tous ceux, nombreux, derrière elle qui l’ont applaudie et acclamée, gardent les yeux soigneusement fermés et prêtent leur bouche à la rhétorique du Hamas et de l’Iran. On peut aussi saluer le respect sans faille du devoir de réserve auquel sont astreints les fonctionnaires de l’État ainsi que le dévouement de ces étudiants pour leur financeur et employeur.

L’élève qui lui succède au pupitre, la seule étudiante en géographie diplômée, évoque en une litanie tragique la destruction des magnifiques universités palestiniennes, si nombreuses (effectivement, les chiffres du Hamas font de la bande de Gaza l’endroit comptant le plus grand nombre d’écoles, d’universités et d’hôpitaux, dont la véritable utilisation est désormais connue de tous – vraiment, nul ne peut dire, dans ce cas, qu’il ne sait pas), dans l’idée qu’aucun échange universitaire ne pourra y être effectué, car toutes ont été détruites par « l’armée d’occupation israélienne ». Il ne sert à rien de leur rappeler le désengagement de Gaza en 2005, puisque, encore une fois, « le n’importe quoi » est roi dans cette élite normalienne. Une publication sur le groupe d’ENS en lutte va même jusqu’à parler de « scolasticide » et non plus de « génocide ». La même élève, qui affirme avoir été éduquée dans un lycée français huppé de Jérusalem mêlant Israéliens et Palestiniens (où est l’apartheid décrié par ses collègues en ce cas ? En aurait-il été de même à Ramallah ou à Gaza, zones judenfrei ?), conclut son discours sur cette tonalité poétique si prisée des « militants aux lendemains qui chantent », souhaitant que sa vie, après l’École, soit « comme la Palestine, qui n’est pas seulement un pays mais une métaphore de la vie, dont les frontières ne sont pas encore définies, en quête de construction ». Souhaitait-elle cracher l’affreux slogan des émeutes arabes contre les Juifs dans la Palestine mandataire, désormais popularisé dans toutes les universités occidentales : From the river to the sea ? Cela aurait été un peu trop clair pour tous peut-être, mais l’absence de l’État d’Israël dans son discours ne ment pas sur son idéologie.

À la suite de ces deux discours, applaudis par bon nombre d’élèves, de parents et par le directeur de l’École, David Schreiber, directeur des études de lettres, et Clotilde Policar, directrice des études de sciences, l’étudiante étrangère chargée de la dernière intervention s’est sentie difficilement à la hauteur « après des discours si forts ». Pour ma part, à l’image des quelques étudiants et parents ayant eu le courage de huer, je n’ai trouvé cette cérémonie ni forte, ni émouvante, mais profondément offensante et ridicule, creuse, comme l’idéologie de ces « militants » qui n’ont jamais mis les pieds dans le pays qu’ils abhorrent pour le seul fait d’exister et qui, paradoxalement, serait le seul pays qui leur permettrait d’avoir cette liberté qu’en bons progressistes ils prétendent défendre, tandis qu’ils se font les chantres d’une idéologie islamiste et mortifère qui ne laisse aucune place à la confrontation d’idées. Décidément, si cette cérémonie devait clore mes études en tant que normalien, elle a rempli sa fonction à l’excès, car, comme beaucoup, j’ai définitivement tiré un trait sur l’École. J’arrive à éprouver ce qu’ont pu ressentir les étudiants juifs allemands et autrichiens lors de leur remise de diplôme dans les années 1930, les discours de haine, les humiliations auxquels ils ont été exposés. Ces « militants » qui ont étudié dans la même École que moi ne sont pas mes camarades, pas plus que les étudiants nazis de Berlin et de Vienne, et leur École n’est pas mon École.

 

 


RÉPONSES & COMMENTAIRES

Communication de la direction de l’École normale supérieure en réponse à cette tribune

Réaction d’Armand Laferrère, ancien élève de l’École normale supérieure

Notes et références

  1. Cette lettre a initialement été publiée par Yana Grinshpun, sur le blog Perditions idéologiques, le 30 mai 2024. Nous la remercions bien vivement, ainsi que l’auteur de ce texte, d’en avoir autorisé la reproduction sur notre site.

  2. Ndlr : Surnom donné à la cour aux Ernest, haut lieu de rencontre de l’École.

  3. P.-H. Wallet, « L’ENS ferme une partie de ses locaux à la suite d’un campement monté par des militants propalestiniens », Le Figaro, 23 mai 2024.

  4. Ndlr : Espace de travail ouvert de jour comme de nuit, et théoriquement réservé aux élèves littéraires.

Joseph Morreau

Joseph Morreau

Pseudonyme d’un élève de l’École normale supérieure de Paris.