Notre siècle est défini par les attaques terroristes de la barbarie islamiste contre l'Occident et les puissances musulmanes modérées. Le nombre de ces attaques dans le monde a augmenté d'environ un millier par an au tournant du siècle (1 162 en 2004) à 16 880 en 2014. Le nombre de victimes est passé de 3 278 morts en 2003 à 43 566 en 2014. Mais ce qui a été moins commenté est que, depuis 2014, le nombre de ces attaques et de leurs victimes diminue chaque année. Après une baisse de 20 % en deux ans pour atteindre 13 488 en 2016, le nombre des attaques a baissé de 30 % l'année suivante. Cette évolution vient d'une révolution de l'équilibre politique au Moyen-Orient. L'Iran a perdu sa capacité à prétendre au rôle de puissance militaire régionale. L'Arabie saoudite est devenue le cœur d'un bloc arabe déterminé à moderniser et à modérer l'islam. Israël s'est installé au sein d'un réseau d'alliances qui contribue à le rendre invincible. On peut espérer que l'impact de ces développements sur l'islam européen sera bénéfique dans les prochaines décennies. Tels sont les thèmes développés par l'article qui suit.
A. L.
Notre siècle est défini, depuis son commencement, par les attaques terroristes de la barbarie islamiste contre l’Occident, les puissances musulmanes modérées et tout ce que l’humanité a de décent et de vivable.
Le nombre d’attaques terroristes dans le monde (très majoritairement motivées par l’idéologie islamiste) a augmenté d’environ un millier par an au tournant du siècle (1 162 en 2004) à 16 880 en 20141. Le nombre de victimes a augmenté parallèlement, passant de 3 278 morts en 2003 à 43 566 en 2014.
Ce qui a été moins souvent commenté est que, depuis 2014, le nombre des attaques terroristes et de leurs victimes diminue significativement chaque année. D’après l’étude précitée, le nombre d’attaques a diminué de 20 % en deux ans pour atteindre 13 488 en 2016 ; le nombre de victimes a baissé dans la même proportion pour atteindre 34 676. L’étude ne couvre pas l’année 2017, mais le magazine Jane, dans son enquête annuelle sur le sujet, a signalé une nouvelle baisse de 30 % en 2017 par rapport à 2016. Le nombre de victimes indiqué par le magazine (18 475) donne l’impression d’une baisse plus importante ; cela est dû à une différence de méthodes2.
Cette baisse prononcée et rapide du terrorisme international – une division par deux environ du nombre des victimes en trois ans – a été peu commentée. L’une des raisons en est qu’elle vient d’une révolution de l’équilibre géopolitique au Moyen-Orient dont les implications pourraient marquer tout notre siècle, mais dont les acteurs eux-mêmes préfèrent rester discrets. En quelques années, l’Iran a perdu sa capacité à prétendre au rôle de puissance militaire régionale ; l’Arabie saoudite a renversé sa posture géopolitique pour devenir le cœur d’un bloc arabe déterminé à moderniser et à modérer l’islam ; et Israël s’est installé au sein d’un réseau d’alliances qui contribue à le rendre littéralement invincible et à en faire un acteur clé de la modernisation régionale. On peut espérer, même si c’est loin d’être acquis pour l’instant, que l’impact de ces développements sur l’islam européen sera bénéfique dans les prochaines décennies.
Fin de la puissance militaire iranienne
L’ambition stratégique de la République islamique d’Iran se manifeste sous deux formes. D’une part, elle veut être la puissance dominante de la région, par la supériorité de ses armes et grâce à la pénétration du monde arabe par ses satellites – Hezbollah libanais, Houthis yéménites, milices chiites irakiennes. D’autre part, l’Iran porte une ambition messianique : celle d’une révolution mondiale qui verra la défaite des puissances occidentales, la disparition d’Israël et des États-Unis, le triomphe ultime de l’islam duodécimain.
Les moyens mis en œuvre pour ce dernier objectif – surveillance de cibles potentielles par le ministère de l’Information, assassinats et attaques terroristes à distance, réseaux internationaux de délinquance et de financement du jihad, réseaux de propagande et de désinformation – ne sont pas à la hauteur d’un enjeu aussi ambitieux. Mais cela n’a pas une grande importance pour le régime qui compte sur l’espoir que ces moyens limités soient complétés, le jour venu, par une intervention divine.
Pour son objectif de prééminence régionale, en revanche, l’Iran a mis les moyens. Certes, il n’a plus de programme nucléaire opérationnel. Celui que la République islamique avait tenté de maintenir en vie après l’accord de 2015 a été anéanti lorsque la totalité des plans et des archives ont été transférés, en février 2017, aux services de renseignement israéliens3. Mais dans le domaine conventionnel, avec une armée de plus de 530 000 personnels d’active et 400 000 réservistes, 500 avions, 1 600 tanks et 400 vaisseaux militaires, l’Iran a construit une force respectable. Il dispose de missiles balistiques pouvant atteindre 2 000 kilomètres, de milices terroristes organisées et de réelles capacités de guerre cybernétique.
Et pourtant, les dernières années ont démontré que ce que l’Iran avait investi en quantité, il en perd entièrement le bénéfice par manque de qualité. Des décennies d’embargo sur les armes et de sanctions ont obligé l’Iran à développer sa propre industrie de l’armement, presque entièrement coupée des développements technologiques les plus significatifs du xxie siècle : révolutions de la précision, du traitement de données massives, de la digitalisation et de la simulation. Dans le même temps, les ennemis hébreux et arabes de l’Iran – ainsi que son ennemi principal, le « Grand Satan » américain – ont mis en place dans tout le Moyen-Orient des systèmes d’armement chaque jour plus destructeurs, plus imparables et plus précis. Dans toute la région, l’Iran affronte avec des armes du xxe siècle des ennemis dotés des systèmes d’armes les plus modernes du xxie siècle.
Les conséquences de ce déséquilibre se sont manifestées de manière écrasante depuis le début de l’année 2018. Dans la nuit du 8 au 9 mai, à la suite de l’annonce par le Président Trump du retrait américain de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015, les forces iraniennes stationnées en Syrie ont lancé vingt missiles vers le territoire israélien. Quatre de ces missiles ont été interceptés par la défense anti-missiles des Hébreux, pendant que les autres seize tombaient en territoire syrien. Dans le même temps, l’Iran perdait en quelques heures cinquante bases militaires en territoire syrien, à l’issue d’attaques dont la précision et la coordination démontraient l’éblouissant progrès technologique des Hébreux. Sur le front Sud, les tentatives iraniennes pour lancer depuis le territoire yéménite des missiles contre des cibles saoudiennes se sont, elles aussi, immanquablement conclues par la destruction en vol de ces missiles.
Devenue incapable de remporter une bataille au Moyen-Orient, la République islamique est devenue un régime révolutionnaire sans espoir de révolution, un rêve messianique sans capacité – en d’autres termes, un régime sans légitimité. Personne ne peut prévoir la date où le régime tombera, mais le fait qu’il tombera est désormais une certitude. La population iranienne le sait. Elle maintient depuis décembre 2017 un rythme presque quotidien de manifestations, décentralisées dans tout le pays, qui minent progressivement l’autorité du régime et s’accompagnent de défections locales de la police, de l’armée et même des gardiens de la Révolution.
Ces manifestations restent à un niveau d’intensité assez faible pour que le régime, conscient de la nécessité de composer avec la rue, ne soit pas tenté par une répression massive. Mais, petit à petit, elles font leur œuvre. Un jour viendra, dans quelques semaines ou quelques années, où le bruit de la rue deviendra si assourdissant qu’un mollah ordonnera de donner les forces armées. Ce jour-là, il découvrira que ces forces ne lui répondent plus et que le rêve d’une République islamique a vécu.
La chute du régime, le jour où elle se produira, entraînera l’arrêt des financements iraniens aux milices islamiques révolutionnaires de la région – Hezbollah, Hamas, Houthis – et un redimensionnement à la baisse du réseau mondial de soutien aux actions terroristes. Elle provoquera donc une baisse importante du terrorisme mondial. D’ores et déjà, la baisse constatée depuis 2014 trouve une partie de son origine dans les difficultés croissantes d’une puissance révolutionnaire en déclin et en sursis.
Revirement stratégique de l’Arabie saoudite
Au moment de l’attaque du 11 septembre 2001 où notre siècle est né, l’Arabie saoudite était l’un des plus importants inspirateurs et facilitateurs du terrorisme islamique.
Laurent Murawiec a analysé la manière dont l’Arabie saoudite se trouvait, à l’époque, au cœur de la nébuleuse du terrorisme international4. Le développement rapide des idées jihadistes était facilité par le réseau mondial d’enseignement et de prédication salafistes financé par le royaume. Les complexités internes de la famille royale, où des milliers de millionnaires et quelques dizaines de milliardaires estimaient avoir tous le droit d’intervenir en politique internationale, conduisaient certains princes à soutenir plus ou moins discrètement les mêmes mouvements terroristes qui, comme al-Qaïda, appelaient au renversement du régime. L’Arabie saoudite restait, au total, un allié des puissances occidentales ; mais un allié profondément ambigu, qui n’hésitait pas en parallèle à entretenir le mal qui menace l’Occident.
Cette situation a été profondément bouleversée au cours des dernières années. Avec l’arrivée au pouvoir du roi Salman ibn Abdelaziz al-Saud en janvier 2015, la réalité du pouvoir a été transférée au prince héritier Muhammad ibn Salman, dit « MBS », qui a décidé de mettre fin à l’ambiguïté et d’engager l’Arabie dans un programme de modernisation et de modération sur plusieurs décennies.
Ce programme a une dimension économique : l’Arabie saoudite s’est largement ouverte aux investissements étrangers et a commencé à mettre en place une stratégie à long terme de diversification de son économie, hors de la dépendance au pétrole et vers de nouveaux secteurs de haute technologie.
Mais il a surtout une dimension sociétale et, par là même, géopolitique, qui pourrait bien faire du prince Muhammad l’un des hommes les plus importants de toute l’histoire de l’islam.
Dans une série d’entretiens accordés à l’automne 2017 et au printemps 2018, le prince a fixé à la transformation qu’il veut imposer au royaume des objectifs qui auraient paru irréalistes à la plupart des commentateurs quelques mois plus tôt : un islam apaisé, qui n’interdira plus la coexistence des hommes et des femmes dans l’espace public et réinterprètera l’obligation de pudeur féminine de manière moins restrictive ; la reconnaissance du droit des Juifs à avoir un État sur la terre d’Israël ; et même l’abandon de la notion qui fait du jihad une obligation religieuse. Le prince remplace cette idée par celle qui veut que le message musulman ne demande plus aucune violence, maintenant qu’il peut être librement répandu5. Prononcées sur un ton calme et comme si de rien n’était, ces affirmations représentent autant de ruptures fondamentales, historiques, avec la théologie musulmane telle qu’elle était comprise jusqu’alors en Arabie.
Révolutionnaire sur les questions de société et en théologie, MBS présente aussi l’immense mérite d’être d’un réalisme absolu quant aux conditions politiques de mise en œuvre de ses plans. Il a entièrement renouvelé l’appareil de sécurité saoudien pour installer de jeunes généraux qui partagent ses idées. Il sait, quand il le faut, reculer momentanément face aux forces conservatrices du pays. Il n’a laissé aucun espoir, dans son programme de réforme, à une ambition de démocratisation que l’islamisme aurait inévitablement détournée. Il a mis fin, une bonne fois pour toutes, à la dispersion de la famille royale, en enfermant plusieurs centaines de princes et autres personnalités saoudiennes jusqu’à ce qu’ils aient abandonné une part importante de leur fortune et, avec elle, leur capacité à avoir chacun sa politique étrangère personnelle. Le réseau mondial des madrasas, qui avait tant fait pour polluer les esprits des musulmans du monde et les rapprocher des idées terroristes, est en train d’être discrètement démantelé sous nos yeux.
Il est impossible de surestimer l’importance historique de la révolution engagée par le prince Muhammad – qui, à 33 ans, peut espérer avoir un demi-siècle de pouvoir absolu devant lui. L’émergence, au cœur du monde arabe et musulman, d’une puissance modérée, modernisée et religieusement tolérante serait, si elle se confirme, un des plus grands événements de l’histoire mondiale récente. Cette réforme n’est pas limitée à la seule Arabie saoudite : elle concerne toute la péninsule, où un réseau d’alliances des petits pays avec les Saoudiens se met graduellement en place dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe. Pour la première fois depuis le recul historique des Arabes au profit des Ottomans aux xve et xvie siècles, le poids géostratégique des Arabes est en train de devenir l’un des facteurs les plus importants de l’équilibre mondial.
À plus court terme, la réorientation de l’Arabie saoudite est d’ores et déjà l’une des principales explications de la baisse du terrorisme mondial, qui y a perdu une série de soutiens et a vu apparaître un nouvel ennemi bien informé, bien entraîné et totalement résolu. L’amélioration de l’efficacité militaire saoudienne est elle-même liée à un autre développement de la dernière décennie : le changement de statut d’Israël, passé d’objet de toutes les haines régionales à puissance militaire littéralement invincible, située au cœur d’un dense réseau d’alliances.
La nouvelle place d’Israël
Tandis que l’Iran perdait, faute de modernisation technologique, tout l’avantage de ses dépenses militaires, Israël, depuis le début de notre siècle, a connu l’évolution inverse. Son budget militaire n’est, en apparence, supérieur à celui de l’Iran que d’un facteur 2 environ (15 milliards de dollars contre 6,3 milliards, sachant que les deux chiffres sont certainement sous-estimés). Mais la spécialisation d’Israël dans le développement de nouveaux armements, technologiquement de plus en plus avancés, a transformé cette différence quantitative en une différence de nature.
La plus grande partie de ces nouveaux développements est, comme il se doit, secrète. Mais, même à s’en tenir à ce qui est publiquement connu, on sait qu’Israël est désormais doté des capacités militaires suivantes :
- Intercepter en vol tous les missiles utilisés par toutes les autres puissances régionales, Iran compris ;
- Assurer un suivi des communications ennemies assez précis et assez exhaustif pour intervenir presque quotidiennement, dans les territoires contrôlés par l’Autorité palestinienne et avec le soutien de cette Autorité, en prévention d’attaques planifiées par le Hamas contre l’Autorité ou contre les Israéliens ;
- Identifier et détruire à distance, avant qu’ils ne pénètrent sous son territoire, les tunnels percés par le Hamas depuis la bande de Gaza pour infiltrer le territoire israélien ;
- Construire, à l’aide de drones et données satellites, une simulation détaillée du territoire ennemi permettant de préparer une intervention militaire d’une précision presque parfaite. Israël dispose d’une simulation appartement par appartement de la bande de Gaza. La précision des frappes de mai 2018 contre les forces iraniennes en Syrie semble démontrer qu’il en est probablement de même pour d’autres territoires hostiles, plus lointains ;
- Tuer un ennemi situé au milieu d’un groupe sans atteindre ses voisins immédiats ;
- Enfin, comme l’ont montré les tentatives du Hamas de franchir la frontière de Gaza au printemps 2018, Israël a désormais la capacité d’identifier et de cibler des combattants ennemis cachés, sans uniforme, au milieu d’une vaste foule, elle-même séparée des tireurs par un vaste écran de fumée opaque6.
L’accumulation de ces capacités militaires a entièrement changé, en quelques années, le statut d’Israël au sein du Moyen-Orient. La même puissance dont la destruction semblait à beaucoup une conclusion inévitable s’est révélée invincible et ancrée dans la région pour toujours.
Cette redéfinition de la place d’Israël a conduit plusieurs autres puissances à établir avec lui des liens militaires toujours plus étroits. L’Égypte ne cache pas qu’elle coopère quotidiennement avec les Hébreux dans la lutte contre les Frères musulmans et les mouvances terroristes au sein des Bédouins du Sinaï. L’Arabie saoudite est plus discrète, mais n’a jamais nié l’existence d’une coopération stratégique contre l’ennemi iranien. Lorsque des missiles iraniens ont été tirés vers Riyad depuis le territoire yéménite en 2017 et 2018, l’Arabie a préféré ne pas communiquer sur l’origine de la technologie antimissiles qui lui avait permis d’intercepter la menace.
La coopération militaire entre Hébreux et Arabes ne rend pas seulement inévitable la défaite des milices pro-iraniennes et des groupes islamistes sunnites. Elle permet aussi, dans la guerre contre ces ennemis communs, l’emploi massif de tactiques de surveillance et d’infiltration.
Une part importante de la guerre a toujours consisté à infiltrer les forces ennemies – soit pour les espionner, soit pour leur faire prendre délibérément des décisions autodestructrices en plaçant ses propres agents aux commandes. À l’époque où les Arabes étaient unis contre Israël, les possibilités d’avoir recours à ces tactiques étaient limitées. Il y avait bien quelques Juifs arabophones susceptibles d’être infiltrés et, à l’occasion, des Arabes susceptibles d’être retournés, mais leur nombre restait faible dans l’immensité des troupes.
Cette situation s’est désormais inversée. Les forces arabes qui restent résolues à détruire Israël sont limitées en nombre : environ 25 000 combattants pour le Hezbollah (estimation haute) et quelques milliers pour le Hamas, les milices jihadistes syriennes et les Houthis. L’infiltration au sein de ces forces d’agents de l’Égypte, de l’Arabie saoudite ou d’autres puissances arabes alliées des Hébreux est devenue un exercice relativement facile. Ceux qui restent fidèles aux anciens idéaux savent qu’ils sont en permanence sous surveillance et ne peuvent réellement faire confiance à personne.
Cette dimension de la guerre, par définition, se fait dans l’ombre. Mais elle a certainement contribué à la réduction mondiale des actes de terrorisme depuis 2014.
De manière plus directe, l’application de nouvelles technologies israéliennes ou d’équivalents développés par d’autres pays permet d’identifier la menace en amont, d’intervenir en prévention plutôt qu’après les attaques et, lorsque c’est nécessaire, d’éliminer un ennemi de manière parfaitement ciblée. Des coopérations de sécurité sont florissantes entre Israël et les autres puissances menacées par la terreur (y compris celles qui, sur la scène diplomatique, se vantent le plus de leurs prises de position anti-israéliennes). Ces coopérations sont l’une des raisons qui ont permis au terrorisme mondial de reculer.
Effets sur l’islam européen
Ces trois évolutions géopolitiques fondamentales sont encore loin d’avoir produit tous leurs effets. À ce stade, la seule qui pourrait être réversible est la modération de l’Arabie saoudite, dans l’hypothèse d’une révolution de palais réussie. Ni la supériorité technologique israélienne, ni l’infériorité iranienne ne peuvent plus être modifiées à court ou moyen terme.
Tout indique donc que la tendance récente à la réduction du terrorisme islamiste devrait se poursuivre et que celui-ci n’est encore que dans les premières étapes d’une décrue historique.
Pourtant, il est un continent que la modération de l’islam ne semble pas encore atteindre. Ce continent est l’Europe. Toutes les enquêtes montrent que les musulmans européens continuent à devenir, en moyenne, plus extrêmes dans leur interprétation de la charia et plus portés à la violence d’une année sur l’autre.
Le travail remarquable des services de renseignement européen permet d’assurer un suivi de la plus grande partie des groupes terroristes sur le continent. Cependant, ce suivi – qui a souvent réussi, mais parfois aussi échoué à prévenir les attaques – est beaucoup moins utile face aux cas, qui se multiplient, de terrorisme individuel.
Les terroristes, dans ces cas-là, agissent par conviction personnelle et sans avoir reçu d’instructions d’aucune organisation. La seule manière de prévenir ces attaques serait donc d’éviter l’endoctrinement qui, sur Internet et dans les mosquées, les conduit à se soumettre à cette idéologie de la mort. Des techniques existent pour cela : surveillance d’Internet, interventions armées pour mettre fin à l’activité des diffuseurs de haine, pénalisation de la consultation de sites jihadistes. Mais force est de constater qu’à ce jour, ces techniques ne sont pas suffisamment employées et que les Européens ont échoué à mettre fin à la vague montante de la radicalité.
La question fondamentale des prochaines décennies sera de savoir si la modération croissante des Arabes et l’échec des Perses conduiront ou non à une modération des musulmans européens.
Cette question est aujourd’hui indécidable. On peut imaginer que la modération des Arabes conduira graduellement à une modération des musulmans d’Europe, de la même manière que la radicalité croissante des Saoudiens a contribué à la radicalisation en Europe au cours des décennies précédentes.
Mais on peut aussi imaginer une situation dans laquelle l’islam européen se séparerait de ses bases historiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient – non pas, comme les Européens l’ont longtemps rêvé, pour s’inventer une forme plus douce sous nos cieux plus cléments, mais au contraire pour refuser la modernité qui avance et créer, dans les marches de l’empire islamique, un réduit rigoriste et sans concessions.
Dans dix ou vingt ans, alors qu’un Moyen-Orient apaisé et modernisé profitera enfin de la douceur de la vie et des fruits de l’investissement, l’islam européen pourrait avoir confirmé sa mue en idéologie de conquête, fièrement séparée, résolument ennemie de la majorité qui l’entoure, déterminée à gagner toujours davantage d’influence au détriment des libertés du vieux monde.
Cette incertitude est encore renforcée par le fait qu’au moment même où l’Iran sort du jeu et où les Arabes se modèrent, la Turquie a fait le chemin inverse. Désormais ouvertement islamiste, elle emploie déjà les armes de la propagande, de l’intimidation et, à l’occasion, de la brutalité en dehors de ses frontières.
La Turquie n’a pas mis en place, comme l’avait fait l’Iran, des filiales internationales consacrées à la terreur. Mais on ne peut pas exclure que son évolution, qui jusqu’ici a toujours donné raison aux analystes les plus pessimistes, la conduise à reprendre à son tour un métier que les Arabes délaissent et qui échappe, malgré eux, aux mains des Iraniens.
Dans toutes les hypothèses, même un recul important du terrorisme en Europe ne mettrait pas fin au conflit de basse intensité qui oppose la culture judéo-chrétienne et l’islamisme conquérant.
L’objectif stratégique de l’islamisme est, depuis toujours, l’extension du domaine de la charia et la domination mondiale des musulmans sur les infidèles. Cet objectif peut être poursuivi par le terrorisme, mais aussi par d’autres moyens : infiltration des mouvements démocratiques, migrations démographiques ciblées, prise de contrôle de moyens de communication, recours judiciaires, recherche de positions d’influence auprès du pouvoir et dans les structures éducatives. Même si, comme il est probable, le recul du terrorisme se confirme et s’amplifie dans les prochaines années, cela ne résoudra en rien l’affrontement civilisationnel de long terme dont il n’est qu’une facette.
La guerre contre le terrorisme est loin d’être finie, mais elle est probablement déjà gagnée. Cela n’annonce pour autant aucune victoire de l’Occident dans le conflit de civilisations qui a choisi notre continent pour principal champ de bataille.