Hérode

Le roi Hérode (73-4 av. J.-C.) figure au nombre des dynastes de l’Antiquité ayant de prime abord hérité d’une exécrable réputation. Pour s’en convaincre, il suffit de lire ce que l’évangéliste Matthieu nous rapporte à son sujet. Plus qu’à la littérature juive qui tend à l’ignorer, c’est à la tradition chrétienne qu’Hérode doit d’être passé rapidement à la postérité comme un monarque fourbe et cruel alors que, tourmenté par l’annonce de la naissance d’un « roi des Juifs », il décide de le faire périr. Ayant échoué dans un premier temps à suborner les mages, il entreprend de faire exécuter tous les enfants de moins de deux ans habitant sur le territoire de Bethléem, ce que l’Église a retenu sous le nom de massacre des Saints Innocents. Si l’historicité d’un tel forfait apparaît assez improbable, il n’en demeure pas moins vrai que les nombreuses exécutions qui ponctuent le règne d’Hérode, et plus particulièrement celles de nombreux membres de sa famille parmi lesquels trois de ses fils, ont pu contribuer à fonder la commémoration chrétienne des Saint Innocents, attestée dès le iiie siècle chez Cyprien et Origène.

Pourtant, à y regarder de plus près, à l’aune de la principale source dont nous disposons sur ce souverain très controversé – l’historien juif Flavius Josèphe –, il apparaît qu’à côté d’une réputation de cruauté avérée, le roi Hérode montra une étonnante faculté à survivre politiquement au milieu des multiples bouleversements que connaît alors la République romaine plongée dans ces guerres civiles d’où émergera le Principat augustéen. À ce constat s’ajoute l’image d’un souverain évergète et bâtisseur, dont la grande générosité d’une part et les très nombreuses et très spectaculaires réalisations urbanistiques et architecturales d’autre part forcent parfois l’admiration de ses détracteurs.

Depuis les années 1960, les historiens se sont efforcés de mieux comprendre ces parts d’ombre et de lumière du règne d’Hérode au fil des passages ad hoc de la Guerre des Juifs et des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe dans lesquels ce notable pharisien passé au service de Rome entreprend de revisiter l’histoire de son peuple, meurtri par la seconde destruction du temple de Jérusalem par les légions romaines, conséquence de la grande révolte juive de 66 dont il avait été un des acteurs. L’avènement de la dynastie hérodienne, un siècle avant ces tragiques événements, débute en fait avec le père d’Hérode, Antipater, gouverneur d’Idumée et proche conseiller du roi, puis ethnarque, hasmonéen Hyrcan II. Cette famille iduméenne, sans doute fraîchement convertie au judaïsme à la fin du iie s. av. J.-C., choisit le camp de Rome pour asseoir sa position en Judée. En obtenant de Marc Antoine et d’Octavien – futur Auguste – l’investiture royale en 40 av. J.-C., sur fond de guerre civile et de conflit romanoparthe, Hérode promouvait ainsi son clan familial au sein des rois alliés et amis du peuple romain, au travers desquels la République avait assis sa domination aux confins proche-orientaux de son empire. L’élimination physique des derniers Hasmonéens consacra l’avènement de la nouvelle dynastie hérodienne dont nombre de Juifs, les milieux pharisiens surtout, refusèrent de reconnaître la légitimité. C’est ainsi que, dans la mémoire juive, l’époque hasmonéenne qui avait fait l’objet d’une violente contestation en son temps, lorsque les rois de cette dynastie avaient fait montre d’impiété en cumulant royauté et grande prêtrise, bénéficia d’une véritable réhabilitation. Ainsi le siège sacrilège du temple de Jérusalem par Pompée en 63 av. J.-C., la suppression de la royauté juive qui s’ensuivit et l’intronisation, treize années plus tard, d’Hérode par Rome furent, à n’en pas douter, le point de départ d’une amplification du messianisme apocalyptique qui conduira les Juifs à se révolter en 66. La reconstruction du temple de Jérusalem lancée par Hérode prend alors tout son sens, le souverain impopulaire s’efforçant ainsi d’apparaître aux yeux de ses sujets comme un nouveau Salomon, voire un nouveau David. Il semble que les précautions prises par ce dynaste hellénisé, parvenu à la royauté dans les bagages des Romains, n’aient guère fait illusion aux yeux de nombreux Juifs, qui en vinrent à placer justement leurs espoirs dans la venue d’un Messie salvateur renouant avec la royauté davidique. Au ve siècle, le Talmud de Babylone évoquait, non sans nostalgie, les splendeurs du temple hérodien, rasé par les Romains en 70, merveille des merveilles, dont les auteurs dudit Talmud s’étonnaient toutefois qu’il ait pu être l’œuvre d’un souverain aussi indigne.

Ce procès en illégitimité du roi Hérode, dont rendent compte d’une part Flavius Josèphe, d’autre part les traditions judaïques et chrétiennes mais pour des motifs qui ne ressortissent pas à une approche historienne du règne, contraste avec les écrits de l’historien et philosophe Nicolas de Damas, proche conseiller d’Hérode, qui nous en a dressé un portrait diamétralement opposé. La munificence de ce prince est ainsi mise en exergue, ce dont témoignent les vestiges archéologiques de nombre de ces réalisations, qu’il s’agisse des palais de Massada, Jéricho et Jérusalem ou du complexe mémoriel et funéraire de l’Hérodion au sein duquel sera inhumé Hérode. On n’oubliera pas non plus la fondation de Césarée-sur-Mer, cette « Alexandrie » judéenne, principale résidence du roi, conçue suivant les principes du plus pur urbanisme grec et comportant quelques constructions made in Rome, hippodrome et amphithéâtre. Cette ouverture prudente à une romanisation architecturale semble avoir été suivie d’influences à contre-courant. Ainsi, le palais-forteresse de l’Hérodion et le palais maritime de Césarée pourraient avoir inspiré l’empereur Tibère pour la construction de la villa Jovis à Capri. Paradoxalement, l’évergétisme royal d’Hérode semble avoir moins concerné ses sujets juifs, plutôt hostiles, il est vrai, aux mœurs et coutumes gréco-romaines. Rien n’est plus significatif à ce propos qu’un Hérode d’un côté levant de lourds impôts dans son royaume et de l’autre côté intervenant auprès d’Agrippa en faveur de la cité d’Ilion qui s’était vu infliger une amende de 100 000 drachmes par le gendre d’Auguste pour n’avoir pas porté secours à son épouse Julie, mise en danger lors d’une crue du Scamandre.

L’auteur de cette toute nouvelle biographie du roi Hérode, Mireille Hadas-Lebel, est une spécialiste reconnue de l’histoire du peuple juif aux époques hellénistique et romaine. Sa grande maîtrise de l’œuvre de Flavius Josèphe, auquel elle a consacré de nombreuses études, transparaît au fil des pages de cet ouvrage sur un souverain dont l’histoire nous est surtout connue par cet auteur juif, les historiens grecs et romains s’étant peu intéressés à ce « roitelet », gouvernant une contrée lointaine, sise aux confins de l’Empire. C’est donc tout le mérite de ce livre de nous faire entrevoir, au travers d’une approche chronologique élargie à l’ensemble du clan hérodien, du grand-père Antipas au dernier roi de la dynastie Hérode Agrippa II, le destin exemplaire de ces dynastes juifs hellénisés, confrontés à la présence de plus en plus intrusive de Rome dans l’aire syro-palestinienne. Mireille Hadas-Lebel s’est également efforcée de contextualiser la grande révolte juive de 66-70, dont certaines prémices doivent être recherchées au travers des désillusions et déceptions que suscita, parmi un nombre de plus en plus important de Juifs, la restauration par Hérode de la royauté judéenne. On appréciera aussi l’ultime chapitre consacré à la postérité d’Hérode, une postérité longtemps tributaire du massacre des Saints Innocents, rapporté par l’évangéliste Matthieu, un sujet qui inspira, tout au long du Moyen Âge, les mystères chrétiens et les imagiers, mosaïstes, peintres et sculpteurs, comme ce fut le cas vers 1200 aux chapiteaux du portail Saint-Michel de la cathédrale de Poitiers. La traduction en latin de l’œuvre de Flavius Josèphe, en 1544, mit à la disposition des humanistes une information plus importante qui, toutefois, ne modifia guère la sombre réputation du roi juif. La nouveauté réside dans le fait qu’Hérode devient, à partir de ce moment, un personnage de théâtre qui inspirera, entre autres, Voltaire, en 1724. Au siècle suivant, Hérode le Grand – surnom donné pour le distinguer de ses fils ou petits-fils portant le même nom – se voit ravir, pour partie, la vedette par un de ses fils, Hérode Antipas, que mentionnent les Évangiles à propos de ses démêlés avec Jean le Baptiste, voire Jésus lui-même. Mireille Hadas-Lebel évoque, à ce propos, l’opéra de Jules Massenet, Hérodiade, créé en 1881 au théâtre de la Monnaie à Bruxelles, une surprenante version de ce récit dans lequel Salomé est amoureuse de Jean le Baptiste et met fin à ses jours après l’exécution de ce dernier, quand elle eut découvert qu’elle était la fille d’Hérodiade. Bien documenté, l’ouvrage de Mireille Hadas-Lebel nous propose également quelques belles pages, particulièrement vivantes, sur les fêtes judaïques au temps d’Hérode, telle la fête des Tabernacles à propos de l’assassinat par Hérode de son beau-frère, le grand-prêtre hasmonéen Aristobule III, en 35 av. J.-C. Des cartes et une généalogie des Hérodiens aideront le lecteur à démêler la complexité des bouleversements territoriaux et des intrigues familiales du temps d’Hérode.

Le roi Hérode (73-4 av. J.-C.) figure au nombre des dynastes de l’Antiquité ayant de prime abord hérité d’une exécrable réputation. Pour s’en convaincre, il suffit de lire ce que l’évangéliste Matthieu nous rapporte à son sujet. Plus qu’à la littérature juive qui tend à l’ignorer, c’est à la tradition chrétienne qu’Hérode doit d’être passé rapidement à la postérité comme un monarque fourbe et cruel alors que, tourmenté pa

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Thierry Piel

Thierry Piel

Maître de conférences en histoire ancienne à l’université de Nantes. Spécialiste de la civilisation étrusque et de la Rome archaïque, ses recherches portent sur la nature et l’exercice du pouvoir dans les cités de l’aire étrusco-latine. A notamment publié : Camille ou le destin de Rome, 406-390 av. J.-C. (avec la coll. de B. Mineo, Clermont-Ferrand, Éditions Maison, 2010) ; Et Rome devint une République… 509 av. J.-C. (avec la coll. de B. Mineo, Clermont-Ferrand, Lemme Edit, 2011) et Troie. Portrait historique d’un site mythique (Clermont-Ferrand, Lemme Edit, à paraître).