Mémoire sur le paupérisme (II)
Alexis de Tocqueville
N° 24/Hiver 1983

Voici la suite du texte de Tocqueville sur le paupérisme, dont la première partie figurait dans la lettre précédente. Il s’agit du Mémoire sur le paupérisme, lu en 1835 devant la Société royale académique de Cherbourg. L’édition de 1835 était introuvable. La première partie s’achevait sur une phrase prophétique : "À mesure que le mouvement actuel de la civilisation se continuera, on verra croître les jouissances du plus grand nombre ; la société deviendra plus perfectionnée, plus savante ; l’existence sera plus aisée, plus douce, plus ornée, plus longue ; mais en même temps, sachons le prévoir, le nombre de ceux qui auront besoin de recourir à l’appui de leurs semblables pour recueillir une faible part de tous ces biens, le nombre de ceux-là s’accroîtra sans cesse." [Lire l'article]
Éclaircissement sur l’histoire de ma vie
Saul Bellow
N° 37/Printemps 1987

Dans cet essai qui sert de préface au livre d’Allan Bloom, L’Âme désarmée. Essai sur le déclin de la culture générale (Julliard, 1987), Saul Bellow explique pourquoi ce livre est important. Il le montre en s’efforçant d’éclairer l’histoire de sa propre vie. [Lire l'article]
L’Épisode socialiste
Raymond Aron
N° 41/Printemps 1988

Quand il eut achevé ses Mémoires, à la fin de l’été 1983, et qu’il disposa du volume d’épreuves imprimées, Raymond Aron voulut abréger l’ouvrage qui paraissait trop volumineux à l’éditeur. Il retira donc deux chapitres qui étaient directement liés à l’actualité. L’un de ses chapitres concernait la situation internationale. Nous l’avons publié dans le livre posthume, Les Dernières Années du siècle (Commentaire-Julliard, 1984). Nos lecteurs trouveront ici l’autre chapitre inédit, celui consacré à la politique française. Ce chapitre portait pour titre La Victoire socialiste. Il s’achève sur L’Épisode socialiste. Après mars 1986 et avant mai 1988, Commentaire retiendra ce dernier titre, sans avoir le sentiment de trahir la pensée de son fondateur. [Lire l'article]
Les caractères immortels
Marcel Proust
N° 22/Été 1983
Il s’agit d’un long texte inédit de Proust qui commence ainsi :
"Mais quand alors j’allais saluer… avec lui je vis qu’au lieu de s’adresser à moi il détournait la tête, avait l’air de rire avec ses voisines comme s’il se fût moqué de moi. Ce regard trop beau faisait qu’on lui trouvait l’air fou ou insolent quand on ne le connaissait pas, mais cette mauvaise impression se dissipait dès qu’on lui avait été présenté, on disait qu’il gagnait à être connu et il ne vous regardait plus de cette manière dès qu’il se voyait connu de vous. J’appris qu’il était le fils de M. de Vaugoubert, je compris que ses yeux étaient deux étoiles immémoriales qui semblaient seulement avoir changé de place, je connaissais leur passé, j’aurais pu aussi y lire l’avenir de ce jeune homme qui ne le connaissait peut-être pas lui-même alors ; mais je n’avais pas besoin de le regarder. Il venait de dire deux mots, deux mots insignifiants certes. Mais l’accordeur de pianos armé de son diapason n’a qu’à frapper une note pour savoir de combien de tons elle s’écarte de la normale…" [Lire l'article]
Sur les langues régionales. Post-scriptum d’un ami
Emmanuel Kant (I)
Suivi de Barère sur « Les langues régionales »(II)
N° 93/Printemps 2001

Le texte de Kant que l’on va lire est une de ses dernières publications. Il a paru en 1800. Il s’intitule Post-scriptum d’un ami (Nachschrift eines Freundes). Il n’avait jamais été traduit en français. Il tient en une page. Kant l’a rédigé à propos d’un ouvrage de Christian Gottlieb Mielckes, Littauisch-deutschen und deutsch-littauischen Wörterbuch, un Dictionnaire lituanien-allemand et allemand-lituanien. Kant esquisse un portrait des Lituaniens prussiens et prend parti pour que soit préservée la spécificité de leur caractère et maintenue la pureté de leur langue, autant à l’école primaire qu’à l’Université. Pour Kant, en effet, une République doit tendre à fédérer des peuples et des hommes libres. On verra donc le plus grand philosophe de l’universel respecter les identités et les particularités.
On pourra comparer ce texte à celui d’un républicain d’un autre genre, le Conventionnel Barère. Comme il est moins connu, quelques mots sont nécessaires. Né en 1755, il vint de Tarbes à Paris où il joua un grand rôle pendant la Révolution. Constitutionnel et modéré, il obtint qu’on laisse intacte, sous le nom de département des Hautes-Pyrénées, l’ancienne province de Bigorre (dans laquelle il se laissait nommer Barère de Vieuzac). À la Convention, il fut girondin, puis se rallia à Robespierre. Comme il parlait et écrivait facilement, on le surnomma « l’Anacréon de la guillotine ». Il présida la Convention pour le procès du Roi. Son terrorisme forcené s’exprima dans un rapport au Comité de salut public du 5 septembre 1793 sur l’armée révolutionnaire. Il suggéra de ne pas faire prisonniers, dans les combats, les soldats anglais, mais de les exécuter. Il devint ainsi le premier théoricien du crime contre l’humanité. Membre du Comité de salut public, il participa à l’épuration de ses amis girondins. Orateur infatigable, il loua les mérites littéraires de Robespierre et, bien qu’il n’ait jamais participé à aucune bataille, exhorta nos armées, dans un genre oratoire nouveau qu’on appela les Carmagnoles, comme on dit les Philippiques. Il ne consacra pas uniquement son talent à la guerre étrangère, la guerre intérieure le préoccupa tout autant. Le rapport que l’on va lire, destiné au Comité de salut public, concerne les langues régionales et la nécessité de les éradiquer. II date du 27 janvier 1794 (8 pluviôse an II). Il se passe de commentaire.
Le reste de sa vie fut édifiant. Au 9 thermidor, il abandonna Robespierre et rédigea le rapport sur sa mise hors la loi. Il lui survécut et put ainsi, dit Aulard, « prolonger dans toutes sortes de vicissitudes une vie sans dignité ». Bonaparte, amusé de ses discours patriotiques, l’utilisa à un rang subalterne dans la police des renseignements généraux. Il l’éleva à la pairie pendant les Cent-Jours. Quand Louis XVIII revint, le régicide Barère l’assura de son entier dévouement. Mais il n’en tira pas crédit et fut exilé à Bruxelles. Il put rentrer en France en 1830 et regagna les Hautes-Pyrénées, il se fit appeler de nouveau Barère de Vieuzac, fut élu conseiller général et mourut paisiblement en 1841. [Lire les articles I et II]
Pourquoi nous ne pouvons pas ne pas nous dire « chrétiens »
Benedetto Croce
N° 101/Printemps 2003

Ce texte de Benedetto Croce (1866-1952) date de 1942. Tous les Italiens cultivés le connaissent et il mérite d’être connu en France. Croce l’a publié dans le premier volume de ses Discorsi di varia filosofia en 1945. Cet essai répond au livre de Bertrand Russell, Why I am not a Christian (1927), ce qui explique le titre choisi par Croce. Nous publions la traduction de l’article avec l’aimable autorisation des héritiers de Benedetto Croce que nous remercions. [Lire l'article]
Pour vaincre l’agnosticisme allemand
John Maynard Keynes
N° 159/Automne 2017

L’œuvre de Keynes est dans le domaine public. Profitons-en pour traduire et publier la préface à l’édition allemande de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (7 septembre 1936). Keynes est l’économiste le plus invoqué en France. Mais il est aussi le moins lu et le plus complexe des auteurs. Cette préface, qu’il faut comparer à la préface à l’édition française, est intéressante à deux titres. La préface française dédaignait les économistes français. Après 1918, la préférence germanique l’emportait toujours chez Keynes. En revanche, il glorifie l’école allemande qui n’a jamais pleinement adhéré au libre-échange à l’inverse de l’École de Manchester et de celle de Marx : il pense sans doute à List et à Sombart sans les nommer. Les économistes allemands se sont, à ses yeux, sagement bornés au réalisme et à l’historisme. Innocents de toute « théorie orthodoxe », ils ne sont que plus aptes à recevoir le message keynésien, d’autant qu’il est « global » et donc « plus adapté à la situation d’un État totalitaire ». La politique du Docteur Schacht depuis 1934 convient en effet à Keynes : autarcie, contrôle des changes, création de monnaie, commandes publiques (pour les autoroutes et les armements). En 1923, Keynes considérait pourtant qu’« il y avait une chose que le protectionnisme ne pouvait pas vaincre, c’était le chômage ». La grande dépression des années 1930 le conduisit à des positions inverses. Tant il est vrai qu’une proposition de Keynes reste incontestable, celle qui affirme que, « quand les faits changent, la théorie change ». [Lire l'article]
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