Articles du n°175
La « santé » de l’économie française
Jean-Claude Trichet
Il s’agit de traiter le sujet « La santé de l’économie française », en insistant sur le mot « santé » Il ne s’agit donc pas de présenter un exposé standard sur l’économie française, une analyse de la situation de cette économie comme le feraient notre gouvernement, nos institutions nationales, publiques et privées, ou les rapports spéciaux commandés par le président de la République. Il ne convient pas non plus de faire une synthèse des points positifs et négatifs de notre économie nationale perçus par la Commission européenne et les institutions internationales, le FMI et l’OCDE en particulier. Mais bien de proposer un diagnostic, inspiré aussi complètement que possible par la métaphore médicale, sur la « santé » de l’économie française.
L’Internet et la démocratie
Francis Fukuyama
Beaucoup de gens voient désormais en Internet l’une des principales menaces à la démocratie. On lui a reproché, et plus particulièrement aux grandes plateformes comme Google, Facebook et Twitter, d’être responsable de l’ascension de Donald Trump et du populisme qu’il représente, de la prolifération des théories complotistes et de l’infox ainsi que de l’intense polarisation politique qui touche les États-Unis de même que de nombreuses autres démocraties en Europe et ailleurs. Dans le monde entier, des politiciens aux tendances autoritaires, tels Rodrigo Duterte aux Philippines et Narendra Modi en Inde, se sont effectivement servis de Facebook et de Twitter pour s’adresser à leurs followers, à leurs partisans, et pour attaquer leurs adversaires.
Néanmoins, la plus grande confusion règne sur ce qui menace vraiment la démocratie. Pour lever cette confusion, il faut d’abord se poser la question de la causalité : les plateformes reflètent-elles simplement des conflits politiques et sociaux ou sont-elles en fait la cause de ces conflits ? De la réponse à cette question dépendent les remèdes appropriés.
Les relations russo-turques. Entre l’animosité historique et le partenariat de circonstance
Françoise Thom
Du xvie siècle au xxe siècle, la Russie et la Turquie furent des adversaires, en rivalité pour des sphères d’influence dans la région de la mer Noire, du Caucase et des Balkans. Elles se sont affrontées douze fois, la plupart de ces guerres se sont terminées par la victoire de la Russie. Pendant la Première Guerre mondiale, la Russie voulait reconquérir Constantinople. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Turquie resta neutre puis rejoignit l’OTAN en 1952. Dans les années 1990, les relations entre les pays ont commencé à s’améliorer. À partir de 2003, lorsque Recep Erdogan arrive au pouvoir, s’esquisse un rapprochement russo-turc. Comment situer aujourd’hui les relations entre ces deux puissances, un partenariat de circonstance succède-t-il à un antagonisme historique profond ?
Le triangle : Turquie, Russie, Iran
Michel Duclos
N’y a-t-il pas quelque chose d’artificiel à faire état d’un « triangle » Turquie-Russie-Iran ? Dans une certaine mesure, oui en effet. D’abord parce qu’il est difficile d’imaginer trois pays – trois anciens empires – à ce point marqués par une longue histoire de rivalités et de conflits, laissant derrière elle des réflexes de profonde méfiance entre chacun des trois côtés du triangle. Ensuite parce que la Turquie et l’Iran ne jouent pas, si l’on peut dire, dans la même catégorie que la Russie. Peut-on dire que dans le contexte du monde actuel – marqué notamment par la diffusion de la puissance et par la nature hybride des conflits – cette distinction entre puissances extérieures et puissances régionales tend à s’effacer ? C’est en partie vrai, du moins dans des zones de tensions spécifiques. Mais surtout il y a trois raisons plus immédiates qui justifient de parler d’un triangle Turquie-Russie-Iran.
Islam et croissance
Jean-Philippe Vincent
L’islam, dans les pays où cette religion est majoritaire, est-il un frein à la croissance ? La question n’est pas sacrilège et mérite d’être posée. Dans la lignée des travaux de Max Weber, le lien entre religion et performance économique a été étudié d’un point de vue sociologique. L’approche retenue ici n’est ni sociologique, ni philosophique, ni théologique et pas davantage juridique, mais économique. Il s’agit d’utiliser l’analyse économique des religions qui s’est développée depuis le début des années 1990. De ce point de vue, il apparaît que la croyance en l’islam exerce, dans l’ensemble, un rôle négatif sur la croissance économique. Cela tient sans doute à ce que les pays musulmans constituent des sociétés fermées, pour reprendre le concept de Karl Popper. Mais il n’y a sans doute pas de fatalité : une action forte et délibérée de lutte contre la corruption et un investissement substantiel dans le capital humain pourraient favoriser le décollage économique des pays musulmans.
Y a-t-il un droit à l’aberration ?
Claude Habib
Le phénomène transgenre a fait récemment irruption dans l’actualité française. Il s’est développé plus tôt dans le monde anglo-saxon et dans les pays d’Europe du Nord : depuis le début du siècle, la transition – qu’elle soit langagière, médicale ou administrative – y est apparue comme le meilleur traitement de la dysphorie de genre, terme qui désigne le sentiment persistant de non-conformité avec le sexe biologique. Notre amie Claude Habib a étudié divers aspects de ce phénomène et publie La Question trans, aux éditions Gallimard. Elle a bien voulu nous en confier quelques pages.
Sommaire
POLITIQUE MONDIALE
Francis FUKUYAMA, L’Internet et la démocratie
Jean-Marie GUÉHENNO, Vers quelle Europe ?
Françoise THOM, Les relations russo-turques. Entre l’animosité historique et le partenariat de circonstance
Jean-Philippe VINCENT, Islam et croissance
Michel DUCLOS, Le triangle : Turquie, Russie, Iran
IDÉES
Alain BESANÇON, L’angoisse dans le christianisme. Du temps de la Réforme protestante et catholique
HISTOIRE
Christophe BELLON, Waldeck-Rousseau et Macron : concordances
Jean-Louis PANNÉ, Le dernier discours du communard Jean Allemane
POLITIQUE FRANÇAISE
Pierre MARTIN, Les élections régionales et départementales de juin 2021
Bernard POIGNANT, Mon socialisme
Paul THIBAUD, L’Algérie et la France
Bruno DURIEUX, Climat et politique
THOMAS, Bercy, puissant ou faible ?
ÉCONOMIE ET SOCIÉTÉ
Jean-Claude TRICHET, La « santé » de l’économie française
Pierre-André CHIAPPORI, Le pouvoir dans la famille
Claude HABIB, Y a-t-il un droit à l’aberration ?
Jean-Éric SCHOETTL, Laïcité à la française et l’islam en France
Henri PIGEAT, L’information, un bien public ?
LES CLASSIQUES DE LA LIBERTÉ (LXXXI)
Philippe RAYNAUD, Le philosophe et le citoyen. Remarques sur la politique d’Alain
L’IDÉE D’UNIVERSITÉ (LV)
Olivier BEAUD, La liberté académique en France : un silence instructif
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CHRONIQUES
SANS COMMENTAIRE : avec la collaboration involontaire de Nicolas Dupont-Aignan, Alexandre Orlov, Florian Philippot, Hervé Poly, Sandrine Rousseau, Nacho Sànchez Amor, Mathieu Slama et de Cédric Villani
Guy BERGER, Le père de Chateaubriand a-t-il acquis Combourg grâce à la traite négrière ?
André PERRIN, Perles en collier
Béatrice MAJNONI D’INTIGNANO, L’art.com
REVUE DE PRESSE
Michel DUCLOS, La chute de Kaboul
Piotr SMOLAR, Russie : la faute de tout le monde sauf du régime
Timothy Garton ASH, Cinq ans après le référendum sur le Brexit. Deux unions affaiblies en désaccord l’une avec l’autre
Lama ABU-ODEH, Le « woke » éteint les Lumières
Boualem SANSAL, Sur l’Algérie
Olivier BEAUD, Inquiétante dérive. La mise en examen du Garde des Sceaux
Nathalie HEINICH, Pas de vaccin contre l’enfant-roi
Philippe MEYER, Mirobolang
LES IDÉES ET LES LIVRES
Dominique GOUST, « Bernard de Fallois, le proustien capital »
Christophe MERCIER, Comment s’en prendre à Flaubert
Patrice GUENIFFEY, À Sainte-Hélène, le fidèle Bertrand
Michel DUCLOS, Comprendre la fin de la guerre froide
Philippe RAYNAUD, Aux origines de l’ultra-gauche
CRITIQUES
Laurent THEIS, Le protestantisme devant l’islam
Christian SAINT-ÉTIENNE, Un État qui doit être fort en dépensant peu
Alexandre MOATTI, Les premiers X du xxe
Rémy PRUD’HOMME, Quand d’anciens alarmistes témoignent
Françoise THOM, Qui était Brejnev
Luc FRAISSE, Les « soixante-quinze feuillets ». Un pseudoroman inédit, propre à enrichir un fonds d’archives
Christophe MERCIER, Drieu inédit
LIVRES CHOISIS
CITATIONS
Nietzsche, Science et passions
Alfred de Vigny, Quand les juges partaient à l’assaut du pouvoir
Jacques Bainville, Le vrai patriotique
George McDonald Fraser, La retraite de Kaboul en 1842
André Suarès, Le plus grand des Européens
Hermann Melville, Précédemment un esclave
Émile Faguet, Les femmes sont excellentes dans l’administration
Germaine de Staël, La morale en politique
Pierre-Édouard Lémontey, Popularité de l’administration
William Shakespeare, Si l’on traite chacun…
OBITUAIRE
Hélène de Saint-Hippolyte (1944-2021)
Articles des numéros précédents
La responsabilité de la Banque centrale européenne
Jean-Claude Trichet
N° 174/Été 2021
La question de la responsabilité d'une Banque centrale vis-à-vis de la sphère politique dans une démocratie est l'une des plus débattues aujourd'hui. L'une des raisons en est la généralisation du concept d'indépendance des Banques centrales qui a caractérisé les trente dernières années. Cette évolution mondiale a été particulièrement marquée en Europe dans les années 1990. Dans cette décennie, les Banques centrales nationales qui allaient rejoindre l'euro se sont vues donner l'indépendance tandis qu'en 1957 la Banque d'Angleterre elle-même était munie de l'« indépendance opérationnelle » concernant la politique monétaire.
Le problème est particulièrement important s'agissant de la Banque centrale européenne (BCE) et du Système européen de banques centrales (SEBC) pour trois raisons. [Lire l'article]
Catholicisme et immigration
Jean-Philippe Vincent
N° 168/Hiver 2019
Le pape François prône un accueil inconditionnel des étrangers et des migrants. Ce discours sied-il à un pontife qui est en principe l'interprète d'une doctrine infiniment plus complexe, nuancée et surtout beaucoup plus rigoureuse et respectueuse du droit des États ? Dans ce qui suit, on confronte l'actuelle position catholique sur l'immigration avec la doctrine traditionnelle héritée notamment de saint Thomas d'Aquin. Les divergences ne sont pas minces. [Lire l'article]
MeToo et après
Claude Habib
N° 165/Printemps 2019
Le genre ne doit plus être compris comme un fait biologique, mais comme un acte de liberté. C'est ce que soutenait Judith Butler, ne reconnaissant plus aucun genre mais seulement des performances de genre, éphémères, spontanées, n'obéissant qu'au désir du sujet dans l'instant.
C'est dans le contexte de la déconstruction du genre que le féminisme du xxie siècle doit se reformuler et la tâche est ardue car, si le genre n'existe pas, on voit mal comment penser la domination de genre. La seule voie praticable est celle qu'empruntent aujourd'hui les tenants de l'antiracisme, soutenant simultanément que le racisme est prévalent mais que les races n'existent pas. De la même façon, seuls les sexistes persistent à croire à la différence des sexes. [Lire gratuitement l'article]