Jean-Marie Guéhenno publie ce mois-ci aux éditions Flammarion un important ouvrage : Le Premier xxie siècle (368 p.), dont il veut bien offrir en primeur la lecture de ces pages à nos lecteurs. Nous l'en remercions bien vivement ainsi que son éditeur. COMMENTAIRE C'est au contact des sociétés les plus violentes de la terre, pendant les huit années où j'ai dirigé les opérations de maintien de la paix de l'ONU, que j'ai compris que la question première est celle des liens qui font une société plutôt que celle de la démocratie. Le tissu qui fait tenir ensemble une société est un tissu fragile, et pas seulement dans les États dits fragiles : les communautés territoriales qui ont été le socle des nations sont bousculées à la fois par la mondialisation et par la concurrence des communautés virtuelles de l'Internet. L'horizon familier de la proximité a cessé d'imposer son évidence, et le fossé entre la géographie des émotions et celle des intérêts se creuse.Comment reconstruire des légitimités, comment gérer la globalité sans perdre l'enracinement dans le particulier et sans se noyer dans l'uniformité ? Comment rester fidèle à l'universalisme de l'esprit des Lumières tout en accueillant les différences ? À l'aise dans un monde globalisé, j'ai longtemps vu le mouvement vers des États continents comme une évolution naturelle d'un monde postmoderne ; je sous-estimais la difficulté de construire l'échelle qui conduit du local au global, et ne mesurais pas combien l'émiettement de sociétés réduites à une collection de selfies pouvait déboucher sur des mobilisations identitaires.Les formes politiques du monde nouveau, celles qui permettront à chaque être humain de tracer son propre chemin tout en l'inscrivant dans une action collective, sont encore à inventer. Ce constat désespère ceux qui ont cru que démocratie libérale, Union européenne, ONU étaient la conclusion obligée de notre histoire compliquée. J'essaie dans ce livre d'explorer la multitude des avenirs possibles, convaincu que la diversité des réponses politiques est la meilleure garantie du pluralisme.
L'Europe des nationsJacques Delors, pressentant que les vieilles nations européennes ne pouvaient se rassembler en suivant le même chemin que les États-Unis, a cru trouver la formule en évoquant une future « fédération de nations », cherchant ainsi à construire une passerelle entre le modèle offert par l'histoire américaine...