« Là où est le danger, là aussi croît ce qui sauve. » HÖLDERLIN Il ne faut ni négliger ni craindre les effets du Brexit. La Grande-Bretagne a pris une décision que l’on peut regretter mais que l’on peut expliquer. D’abord, un Premier ministre, too clever by half, diraient ses compatriotes, a choisi les voies de la démocratie directe dans le plus vieux pays parlementaire du monde. Il en est résulté cette déconvenue. Bagehot avait pourtant expliqué la supériorité de la représentation : un Parlement informé vaut mieux qu’une opinion sensible à la démagogie. La GrandeBretagne, autant que le reste de l’Europe, subit les conséquences d’une immigration mal contrôlée qui accroît l’hétérogénéité des populations et nourrit les discordes. Elle subit aussi les effets de la mondialisation ou, si l’on préfère, du libre-échange, source d’instabilité et plus encore d’inquiétude. Il ne fait pas de doute que le libre-échange, en favorisant les spécialisations et en élargissant les échelles de production, contribue à l’enrichissement du monde. Mais il le fait en causant autant de troubles. Les économistes, ses défenseurs attitrés, devraient se souvenir que Ricardo souhaitait l’échange international des biens pour éviter justement les migrations qui rompent « l’attachement naturel des peuples » à leur terre. Cournot redoutait un libre-échange trop immé- diat à cause des bouleversements qu’il entraînait dans la production. Enfin, Pareto montrait que le libre-échange, en rompant les aspirations à la stabilité, qui sont aussi constitutives des sociétés que les aspirations à la mobilité, menaçait l’optimum social qui ne correspond pas nécessairement à l’optimum économique. Pour ces raisons, le mariage de l’économie et de la politique reste toujours difficile. L’Union européenne n’est responsable ni du libre-échange ni des pressions migratoires, elle en subit les effets négatifs, parce qu’elle ne se donne pas les moyens d’y remédier, alors qu’elle serait en ces domaines bien plus efficace que les nations. Cela dit, le Brexit n’empêchera pas le mouvement politique qui progressivement fédère les nations européennes. Ce mouvement a connu d’autres crises : l’échec de la Communauté européenne de défense ou celui du premier projet de Constitution. Il surmontera celle-ci comme il a surmonté les précédentes. Car il naît de la profonde unité de la civilisation européenne et du souci des nations qui en portent l’héritage de ne pas figurer au « balcon de l’histoire » mais de jouer le rôle qui leur permettra d’en rester de grands acteurs. Or, ce rôle mondial, les petites nations qui constituent l’Europe ne pourront le jouer qu’en unissant leurs forces et leurs volontés. C’est la raison pour laquelle une grande partie de ce numéro est consacrée aux consé- quences du Brexit et à l’avenir de la construction européenne. Jean-Louis Bourlanges et Michel Duclos réagissent à l’événement et tracent les chemins possibles de la négociation entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne. Alain Lamassoure, Thierry Chopin, Jean-François Jamet dessinent les réformes à accomplir pour rendre l’Union européenne plus active et plus conforme aux aspirations des peuples européens. Xavier Ragot donne un exemple précis d’une novation possible au sein de la zone euro, noyau central de l’Union. Sur une tout autre question, celle de la Cour européenne des droits de l’homme (qui siège à Strasbourg, sans être une institution de l’Union et qui comprend des pays non européens comme la Turquie et des pays peu démocratiques comme la Russie), il était souhaitable de faire le point. Nul n’était mieux qualifié que Jean-Louis Costa qui, après René Cassin, a été le deuxième Français à présider cette Cour. Il entend dissiper les inquiétudes qu’elle a pu susciter. Inquiétudes qu’exprime Pierre Lellouche. On lira les citations de Jean Monnet qui accompagnent ces articles. Elles disent une chose simple : l’Angleterre fait évidemment partie de l’Europe par la géographie, par l’histoire et par la civilisation. Elle s’écarte aujourd’hui des institutions de l’Union européenne. N’en doutons pas, elle y reviendra quand l’Union aura fait la preuve de sa légitimité politique. J.-C. C. Le Parlement britannique avait voté en février 2012 (par 234 voix contre 22) une résolution contre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (qui en l’espèce exigeait du Royaume-Uni qu’il concède le droit de vote à ses détenus emprisonnés), pourtant interdit par la loi britannique, et David Cameron (peut-on encore l’invoquer ?) s’était exclamé, la même année, en clôturant le congrès du Parti conservateur : « Nous n’avons pas besoin de recevoir d’instructions des sages de Strasbourg ! » La France pourrait-elle faire les mêmes reproches à la Cour européenne ? La question mérite d’être posée ; bornons-nous, pour l’instant, à une réflexion apaisée sur une dérive inquiétante de sa jurisprudence. Mon article complétera, sur un mode critique, celui qui précède. P. L.
Cette cour, on le sait, est un organe juridictionnel créé en 1949 par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans le cadre du Conseil de l'Europe.Elle est compétente pour traiter des recours portés contre un État membre du Conseil de...