Lorsqu'on lit certains travaux académiques et des articles signés par des institutions financières et des participants du marché qui n'appartiennent pas à la zone euro, la présentation qu'ils font de l'euro est souvent négative. Les résultats économiques de la monnaie unique auraient été médiocres, particulièrement en comparaison des États-Unis. L'euro et la zone euro ne seraient pas soutenus par l'opinion publique des pays membres. La confiance dans le projet européen aurait diminué au cours de ces dernières années, ce qui rendrait très difficile la mise en œuvre des réformes indispensables au succès de l'euro. En somme, l'avenir serait sombre et la question de l'existence même de la monnaie unique et de la zone euro serait plus actuelle que jamais.Il s'agit d'une vision erronée qui ne rend pas compte de la réalité et qui peut conduire gouvernements, décideurs et agents économiques, particulièrement hors d'Europe, à prendre de mauvaises décisions. Cela dit, le fait qu'une fraction importante du regard international sur la zone euro et sur l'euro ne soit pas exacte ne me surprend pas vraiment : on a pu observer l'existence d'un biais négatif significatif vis-à-vis de la monnaie unique depuis le début de l'introduction de l'euro.Le lecteur pourra considérer que j'ai moi-même un biais positif en faveur de cette importante entreprise historique européenne. J'étais conseiller du président de la République française Valéry Giscard d'Estaing, lorsqu'il a lancé, avec le Chancelier allemand Helmut Schmidt, le système monétaire européen et son mécanisme de change (1979). J'étais chef de service à la Direction du Trésor, puis directeur du cabinet du ministre des Finances Édouard Balladur, enfin directeur du Trésor (1983-1993), période pendant laquelle la France a décidé d'adopter une stratégie économique bipartisane dite de « désinflation compétitive ». Cette stratégie a été poursuivie par les présidents de la République François Mitterrand et Jacques Chirac et les gouvernements successifs de sensibilités politiques différentes pour renforcer la compétitivité de l'économie française et créer les conditions de la croissance et de la création d'emplois aussi bien que pour consolider l'intégration économique et monétaire au sein de l'Europe. En tant que gouverneur de la Banque de France indépendante, succédant à Jacques de Larosière en 1993, j'ai eu la responsabilité de 1993 à la fin de l'année 1998 de conduire le franc français vers la monnaie unique. Enfin, pendant huit ans, du 1er novembre 2003 au 31 octobre 2011, j'ai été président de la Banque centrale européenne. Au total, de 1979 à 2011, j'ai travaillé pendant trente-trois ans sur le mécanisme de change entre les monnaies européennes, sur le concept de la monnaie unique, sur sa négociation et sur sa mise en œuvre.
Trente-trois années paraissent être une longue période, mais, si l'on considère la monnaie unique, sa genèse et sa réalisation jusqu'à présent, il faudrait partir du rapport Werner en 1970, qui fut le premier à proposer une Union économique et monétaire (UEM), c'est-à-dire envisager une...