Il y a bien longtemps que nous voulions publier dans les « Classiques de la liberté » un article de réflexion sur la Résistance française pendant l'Occupation. Au début de la revue, en 1982, nous en avions parlé avec Raymond Aron qui pensait qu'au-delà des choix politiques et des différentes formes d'engagement possibles la décision de résister au national-socialisme était un impératif moral, comme celui de résister au communisme ; un devoir qui s'imposait à celui qui était avant tout attaché à la liberté. Nous avions évoqué le nom de Georges Canguilhem, ami proche d'Aron, philosophe et authentique résistant. D'autres tâches, hélas, ne nous ont pas permis d'aboutir. Canguilhem, Aron, le père Fessard nous ont quittés. Le temps a passé. Ne survivaient que ceux qui avaient été, en 1940 ou en 1942, de très jeunes résistants non dépourvus de courage mais n'ayant pas exercé de responsabilités importantes et peu enclins à une réflexion sur les fondements philosophiques de la Résistance. Parmi eux, aucun ne s'imposait pour discourir sur la Résistance, comme l'auraient fait Henri Frenay, Georges Bidault, Jean-Pierre Lévy, François de Menthon et d'autres encore. Les hasards de la vie nous ont fait lire, presque un demi-siècle après sa publication, ce texte d'Étienne Borne. Il convient parfaitement pour célébrer le soixante-dixième anniversaire de la Libération.Borne était un ami d'Aron, presque de la même génération que lui, il était, comme lui, normalien et philosophe. Il entra dans la Résistance dès 1940, au mouvement Combat. Il venait d'Esprit, comme Henri-Irénée Marrou, Jean Laloy et Jean-Marie Soutou, autres amis d'Aron également résistants. Comme le père Fessard, il écrivit dans le journal clandestin Témoignage chrétien. Il fut nommé, par le gouvernement d'Alger et dans la clandestinité, commissaire à l'Information pour la région de Toulouse, fonction qu'il continua d'exercer à la Libération. Après la guerre, écrivain et philosophe fécond, il vécut dans l'enseignement (il était inspecteur général de philosophie) et dans la politique où il resta jusqu'à la fin de sa vie un inspirateur de la démocratie chrétienne et du centrisme, tant auprès des fondateurs du MRP que de leurs successeurs, de Jean Lecanuet à Joseph Fontanet et François Bayrou. Ajoutons qu'il a bien voulu collaborer à Commentaire de 1980 à 1990.Pour lire son article, que nous sommes heureux de publier grâce à l'autorisation qu'a bien voulu nous donner Dominique Borne, il faut dire un mot du surprenant et peu connu ouvrage dont il est tiré : Le Rendez-vous manqué de 1944 (Éditions France Empire, 1964, 317 pages). Claude Jamet en est l'organisateur, c'est un normalien (1926), mais du parti opposé à la Résistance. Venu du Parti socialiste, élève d'Alain, il a choisi la collaboration et il a écrit dans le journal de René Chateau (autre normalien et disciple d'Alain) : La France socialiste. Jamet a réuni en 1964 une vingtaine de personnalités toutes très différentes, toutes issues soit de la Résistance, soit du vichysme, soit de la collaboration (avec les nuances et les repères chronologiques nécessaires pour séparer ces deux derniers engagements) parmi lesquels, du côté de la Résistance : Henri Frenay, André Frossard et Étienne Borne ; du côté du vichysme : le colonel Groussard et Gaston Bergery ; du côté de la collaboration : René Chateau, Maurice Bardèche et bien sûr Claude Jamet lui-même. Le livre regroupe les débats auxquels, vingt ans après, ces anciens adversaires ont participé et les communications qu'ils ont adressées à l'éditeur. Tous devaient répondre à six questions : 1) Quelle position avez-vous prise en 1940 ? 2) Les événements ultérieurs (de 1940 à 1944) vous ont-ils amené à modifier cette position ? 3) Pensez-vous que tous les bons Français, les patriotes, les humanistes étaient d'un côté et les autres de l'autre ? 4) Pensez-vous qu'il soit juste de tenir ceux qui ont choisi un camp pour responsables des erreurs ou des crimes qui ont été commis dans ce camp ? 5) Estimez-vous que la politique que vous avez choisie a rendu service au pays ? Si c'était à refaire que feriez-vous ? 6) Les Français doivent-ils encore se partager et se diviser ?Le questionnaire paraît biaisé et, sans doute, Claude Jamet sollicite-t-il, au-delà de l'amnistie et de la réconciliation, une sorte d'équivalence entre les trois attitudes. C'est cette demande qui rend intéressante la réponse de Borne, car il va séparer les ordres et ainsi aller au fond des choses, c'est-à-dire qu'il va affirmer que la cause de la Résistance, la cause de la liberté, celle aussi de la justice, se confondaient et qu'aucune des autres causes ne peut être mise sur le même plan, quels que soient les égards qu'on doive aux personnes et le pardon que l'on doive aux coupables des fautes commises. J.-C. C.
De la genèse idéale d'un questionnaireLe questionnaire qui nous est proposé est de toute évidence une invitation à la générosité, à la compréhension d'autrui, à la reconnaissance réciproque. Les Français conviés ainsi à des retrouvailles sont, on n'a aucune peine à le comprendre, d'une part les...