Clemenceau et le projet de Wilson Il était connu évidemment que, dans les quatorze points lus par le Président Wilson devant le Congrès des États-Unis le 8 janvier 1918 et qui définissaient leurs buts de guerre, le point XIV prévoyait justement une association des nations chargée de protéger l'indépendance et l'intégrité de chaque pays. Il devait donner naissance à la Société des nations. Pour le Président Wilson, une fois la guerre gagnée, cette idée devenait essentielle, si essentielle qu'elle devait, pour lui, se trouver dans chacun des traités imposés aux vaincus, et en particulier dans le traité avec l'Allemagne. Laisser ce pacte en dehors des traités en aurait affaibli l'importance. Imposer l'idée de la Société des nations fut une des raisons qui poussèrent Wilson à traverser l'Atlantique et à venir participer personnellement à la Conférence de la paix.Il était connu également que Clemenceau n'était pas enthousiasmé par cette idée de Ligue des nations préconisée par Wilson. Il ne croyait pas à la paix universelle. L'essentiel pour lui était que la France obtienne de solides garanties pour éviter de connaître une nouvelle épreuve aussi dramatique.En revanche, on ignorait l'existence d'une note établie par Georges Wormser, glorieux combattant de la guerre de 14, directeur adjoint, puis directeur du Cabinet de Clemenceau lors des négociations des traités de paix. Elle n'est pas datée, mais a vraisemblablement été rédigée au moment où on discutait de la future Société des nations. L'ancien élève de l'École normale supérieure, l'agrégé des lettres âgé alors de vingt-neuf ans qu'était Georges Wormser, ne parle pas à Clemenceau qui a soixante-seize ans, dans la plus grande partie de cette note, du projet de Société des nations de 1919, mais de l'Antiquité grecque !Cela peut nous sembler curieux, mais pas à cette époque, où il n'y avait même pas besoin d'appartenir à une élite intellectuelle pour être nourri de philosophie et d'histoire grecque et romaine, et pour y trouver des sujets de méditation de caractère universel. Il est cependant tout à fait caractéristique de Clemenceau, dont la pensée est pétrie d'hellénisme, d'initier sa réflexion par la requête d'une note sur les précédents antiques.L'étude de Georges Wormser porte sur les tentatives de « société des nations » entre les cités grecques et sur leur échec, et il y fait preuve d'une étonnante prescience. Il rappelle ce que pensait Aristote. Un système, qui est fondé sur toutes sortes de réglementations, mais pas sur le rapprochement entre les hommes, n'a aucune chance de réussir. Georges Wormser ne l'a évidemment pas souhaité, mais, vingt ans après la création de la SDN, éclatait la Seconde Guerre mondiale et ce n'est pas l'ONU qui a fait que Français et Allemands, séparés par les pires souvenirs, soient devenus proches.Il est difficile de dire quelle fut l'influence de cette note « inconnue » de Georges Wormser, mise au jour par un de ses fils. On la trouvera ci-dessous dans son texte intégral, les sous-titres ont simplement été ajoutés par la rédaction.Il est probable que la lecture de ce bref rappel de l'Antiquité grecque, si remarquablement argumenté, n'a pas été sans effet sur la pensée de Clemenceau, alors président de la Conférence de la paix. JEAN-JACQUES BECKER
L'Histoire grecque est, pour une bonne part, l'histoire de cités rivales, fières de leurs vertus propres et tendant toutes leurs forces à affirmer, envers et contre les cités voisines, leur particularisme. Il y eut pourtant, dans le domaine des faits comme dans...