Nombreux sont, en Russie, les hommes politiques à considérer leur pays comme une forteresse assiégée, soumise aux coups de boutoir de l'OTAN et de l'Union européenne. Ils se disent persuadés que les élargissements successifs de l'UE et de l'OTAN en Europe centrale et orientale n'ont eu d'autres finalités que d'encercler et d'affaiblir la Russie. Forts de cette conviction, ils présentent l'annexion de la Crimée comme un mouvement de légitime défense, justifié par le souci de protéger l'intérêt national et la sécurité des frontières russes. Ces perceptions témoignent d'une méconnaissance du projet européen et s'accompagnent souvent de contre-vérités. Quoi qu'on en pense, elles reflètent une construction de la réalité dont il faut prendre acte pour comprendre le comportement des acteurs et leurs choix de politique étrangère. Ce sentiment d'encerclement a donné lieu à plusieurs interprétations. Certains analystes soulignent la responsabilité des pays occidentaux et singulièrement des États-Unis, qui n'auraient pas traité la Russie avec considération depuis la fin de la Guerre froide, ni tenu compte de ses intérêts. En mars 2014, le diplomate américain Jack F. Matlock Jr., ambassadeur des États-Unis en Union soviétique de 1987 au mois d'août 1991, énumérait plusieurs erreurs du passé, dans un article du Washington Post au titre provocateur « Les États-Unis ont traité la Russie comme un “loser ” ». D'autres insistent sur la culture stratégique russe : l'accès aux mers chaudes et le cordon ou glacis de sécurité autour du pays ont toujours constitué deux priorités, de la Grande Catherine à Staline. D'autres encore mettent l'accent sur l'influence d'intellectuels et de propagandistes d'extrême droite ayant pignon sur rue dans les plus prestigieuses universités russes et dans des centres de recherche chargés de conseiller le Kremlin. Au-delà de ces trois facteurs, deux autres sont par trop négligés : les conditions de la négociation du Partenariat oriental et la résurgence de contentieux historiques. Le projet de Partenariat oriental a été conçu à un moment où la Russie était en perte de vitesse dans son « étranger proche », sur le flanc occidental, en Europe de l'Est, comme sur les flancs méridionaux, dans le Caucase et en Asie centrale.Revenir sur ses prémices et ses limites permet de réfléchir aux conditions d'un renouveau des rapports Union européenne-Russie, gage d'une sortie de crise durable.
Les élargissements vus de MoscouDans1 un célèbre discours prononcé à Munich, en février 20072, à l'occasion d'une conférence sur la sécurité, le Président Poutine, qui achevait son deuxième mandat, examinait les dysfonctionnements du système international qu'il imputait à « l'unipolarité du monde ». Visant d'abord à mots...