Imaginons que nous ayons dans notre champ de vision un iceberg, un iceberg détaché de l'immense continent Littérature. Cet iceberg m'apparaît composé de deux parties : une partie émergée, qui prend la lumière, est visible de loin et forme un signal majeur à l'horizon ; elle est composée, selon moi, des œuvres de « fiction » comme disent les Anglo-Saxons, les plus lues, les plus commentées, occupant la surface et brillant à la lumière. Au cœur de cette partie émergée, on devine la masse des œuvres en devenir, qui attendent leur tour de fondre au soleil.Mais c'est la partie immergée qui m'intéresse : elle est beaucoup plus importante et terriblement mystérieuse, car elle est constituée de la littérature autobiographique, de toute la littérature dite « intime ». Sa masse inconnue, incalculable, fait office de lest : c'est la partie immergée de la littérature – les journaux, les mémoires, les correspondances, les récits, les écrits personnels et tout ce qui appartient au domaine de l'« écriture de soi » –, qui permet à la partie émergée de se maintenir plus ou moins dignement à la surface et de prendre la lumière.
Comme toute métaphore, celle-ci n'est pas « filable » longtemps, ni absolument. Je vais donc restreindre ma réflexion sur la partie immergée de l'iceberg aux seuls journaux intimes français des xixe et xxe siècles1...