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L'histoire rempart de la laïcité ?

Denis Crouzet

N° 155 Automne 2016

Article


Il n'est guère de semaine qui s'écoule sans que la question de la place des religions dans nos sociétés européennes ne fasse l'actualité. Le phénomène est particulièrement net en France, pays de la loi de Séparation des Églises et de l'État de 1905, République une et indivisible, où la laïcité a été constitutionnalisée, voilà soixante-dix ans, où l'appartenance communautaire est tenue en suspicion, où « communautarisme » et « républicanisme » ne font pas bon ménage.

Un seuil a été indiscutablement franchi avec les deux vagues d'attentats islamistes qui ont ensanglanté Paris, en janvier puis en novembre 2015, et Nice le 14 juillet dernier. Aux débats récurrents se sont ajoutés de nouveaux fronts avec, pour se limiter au seul domaine de l'enseignement supérieur, les multiples affaires autour du voile à l'Université, le retentissement du « Hijab Day » organisé par une association d'étudiants de Sciences Po Paris ou l'affaire ô combien symptomatique de l'IUT de Saint-Denis. Dans un débat qui transcende largement le clivage gauche-droite, comme le montre la vive polémique entre le Premier ministre Manuel Valls et le président de l'Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, tous les deux socialistes, les Français se divisent sur la voie à suivre : assimilation, intégration, inclusion ?

Pour être sans doute un peu moins vif ailleurs, histoire oblige, le débat intéresse toute l'Europe, menacée par le fondamentalisme religieux et interpellée par la crise des migrants. Dans un entretien accordé à La Croix, en mai dernier, le pape François s'interroge sur la question des racines de l'Europe, de la place de l'Islam et de la laïcité1. Il estime que chacun doit pouvoir se revendiquer de son appartenance religieuse, critique la France d'« exagérer la laïcité » et, tout en reconnaissant au Vieux Continent des « racines », ajoute qu'elles sont plurielles. Il dit redouter, en parlant de « racines chrétiennes » de l'Europe, de produire une vision « triomphaliste ou vengeresse » et se fait l'apôtre d'une coexistence pacifique entre les religions ainsi que d'un dialogue interconfessionnel constant, en donnant en exemple son pays d'origine, l'Argentine. Il fait ici écho aux paroles de la Chancelière allemande Angela Merkel et, par un raccourci de l'histoire, au débat d'il y a dix ans sur la place que la Constitution européenne, alors en cours d'élaboration, devait accorder aux héritages spirituels et aux racines chrétiennes du continent. Son auteur, Valéry Giscard d'Estaing, y tenait fort, nourri qu'il était de son incessant dialogue avec son ami, lui-même ancien Chancelier allemand, Helmut Schmidt qui se disait très inquiet de la place des racines européennes dans une société de plus en plus globalisée et multiculturelle2.

Partant du principe qu'une question aussi cruciale pour le devenir de nos sociétés européennes ne doit pas être débattue uniquement dans l'entre-soi des décideurs, nous avons réuni des universitaires, historiens, philosophes et juristes pour y réfléchir, le 9 décembre dernier, à l'occasion du cent-dixième anniversaire de la loi française de Séparation. Le dossier qui suit est le fruit de cette rencontre3. Il n'est naturellement pas anodin que l'Allemagne et la France y soient en position centrale car, en plus d'être les deux piliers de la construction européenne, elles nous offrent deux modèles bien différents des rapports de l'État aux religions et de la place de celles-ci dans les sociétés. Il n'est pas plus fortuit d'y retrouver le modèle anglo-saxon des « accommodements raisonnables » et la Grande-Bretagne où le Brexit vient de souligner, au-delà des aspects économiques et sociaux, l'importance du questionnement identitaire.

Après le nécessaire rappel par Jacques-Olivier Boudon des rapports entre les États européens et les religions au cours des deux derniers siècles, Denis Crouzet nous entraîne au xvie siècle, vers la guerre des Paysans et les guerres de Religions et montre comment le littéralisme religieux a pu jouer alors comme thérapie face à l'angoisse du péché et conduire aux pires atrocités, dans un parallèle fascinant avec l'actualité. Jean-Marie Le Gall part, quant à lui, de cet épisode tragique pour revenir en 2016, en abordant synthétiquement cinq siècles d'histoire et en nous donnant, au passage, quelques clés essentielles pour l'intelligibilité du présent. En élargissant le champ géographique, en confrontant le modèle français à d'autres manières d'appréhender les rapports entre les religions et l'État et en les resituant toutes dans notre monde libéral et globalisé, Thomas Maissen interroge notre laïcité et réfléchit avec nous à ce que nos sociétés européennes sont prêtes à accepter. Enfin, en se penchant sur une question méconnue et pourtant essentielle, le droit européen de la laïcité, Roseline Letteron nous montre non seulement qu'il n'existe pas, à l'heure actuelle, de standard européen, mais qu'il semble bien y avoir refus d'en imposer un. Le débat est lancé pour un avenir qui demeure ouvert.

Éric Anceau

Comment penser la laïcité après les tragiques événements de 2015 ? Des attentats meurtriers ont ensanglanté Paris comme si les tueurs avaient voulu symboliquement viser au cœur d'une conscience collective, et ils doivent être lus comme un défi aussi intrusif que négationniste à l'égard d'une laïcité pensée jadis...

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