Avec Jean-Marcel Jeanneney disparaît mon dernier maître. Cette revue perd un ami. L'Université, un grand professeur. La science économique, un esprit avisé et pragmatique. La Fondation nationale des sciences politiques, l'un de ses fondateurs. Le gaullisme, un ministre fidèle au Général. La République, un serviteur clairvoyant. Le pays, un patriote intransigeant. L'Europe, un défenseur vigoureux. Sa famille, un être cher et dévoué à ses nombreux enfants et petits-enfants. À eux tous, nous disons combien nous partageons leur peine et combien nous admirions Jean-Marcel Jeanneney.Son fils, Jean-Noël, dans l'adieu que nous publions et qu'il a prononcé à Rioz, en Franche-Comté, lors des obsèques de son père, rappelle cette scène émouvante de 1919 où l'on vit Georges Clemenceau s'avancer sous l'Arc de Triomphe, là où reposera la dépouille du Soldat inconnu, tenant par la main un jeune enfant, témoin des générations futures face aux générations sacrifiées. Cet enfant est Jean-Marcel, le fils de Jules Jeanneney, ministre et ami de Clemenceau. Cet enfant traversera le siècle, il connaîtra, éprouvera, étudiera les joies et les peines, les forces et les faiblesses de notre pays. Bertrand Fessard de Foucault, dans l'article que l'on va lire, décrit son action politique de 1959 à 1969, auprès du général de Gaulle. Ajoutons qu'en 1968, le Général a balancé. Et regrettons-le. Il a hésité entre Edgar Faure et Jean-Marcel Jeanneney. Fallait-il confier à l'un ou à l'autre la charge de réformer les universités ? Il ne fait guère de doute, pour qui a connu les deux hommes et pour qui connaît un peu les problèmes universitaires, que Jean-Marcel Jeanneney aurait été le meilleur choix, car il savait ce qu'étaient les disciplines universitaires et ce qu'impliquait l'idée d'autonomie. Il avait, comme doyen, conduit et modernisé la faculté de droit de Grenoble et, avec André Siegfried, Roger Seydoux et son ami Michel Debré il avait joué un rôle décisif dans la création, en 1945, de la Fondation nationale des sciences politiques. Il avait été élève de l'École libre, où il avait eu pour maîtres Charles Rist et Élie Halévy. Il publia d'ailleurs, avec Raymond Aron, les cours sur l'histoire du socialisme donnés à Sciences Po par Élie Halévy, trop tôt disparu. Attaché à cette maison, il sut, avec ses amis, inventer en 1945 et proposer au général de Gaulle une institution d'un type nouveau : la Fondation nationale des sciences politiques. Cette novation permit à l'École libre, créée en 1872, de passer de la sphère privée à la sphère publique, sans perdre son indépendance ni renier l'inspiration de ses fondateurs.Souhaitons que d'autres études soient consacrées à cet homme d'exception, à l'économiste, à l'observateur attentif de la vie communale et régionale, au publiciste, profond connaisseur des équilibres institutionnels et de l'histoire politique française, au moraliste discret qu'il était, épris de justice et de vérité. Conservons le souvenir d'un esprit clair dont le jugement était ferme et le courage certain. Jean-Claude Casanova
Jean-Noël JEANNENEY, Sur la tombe de notre père Voici plus de cinquante-trois ans, un défilé semblable avait parcouru, à pied, depuis la maison du haut du village, l'artère centrale de Rioz, qui ne portait pas encore le nom...