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Islamogauchisme et islamophobie

Les mésaventures de la liberté académique

Philippe Raynaud

N° 174 Été 2021

Article


S'il est depuis longtemps acquis que les réformes de l'Université peuvent être l'objet de discussions passionnées et de mobilisations sociales intenses, il est rare de voir le débat public s'enflammer autour de querelles scientifiques ou épistémologiques. C'est pourtant ce qui s'est produit récemment à la suite des propos de la ministre de l'Enseignement supérieur, qui s'inquiétait de l'influence de l'« islamo-gauchisme » dans les universités françaises et proposait de la limiter grâce à une « enquête » confiée au CNRS, qui aurait permis de mieux distinguer la recherche scientifique du militantisme afin de garantir la possibilité d'une vie académique pluraliste et paisible. Ces propos ont immédiatement provoqué des réactions en chaîne qu'une large part des médias ont présenté comme l'expression massive et quasi unanime d'un monde de la recherche et de l'Université qui s'estimerait tout à la fois brimé par la politique d'austérité du gouvernement et menacé d'un nouveau « maccarthysme » (sic), susceptible de ruiner la liberté académique et de briser l'essor des courants les plus novateurs de la recherche en sciences sociales. Ces critiques se reconnaissent dans de nouvelles problématiques centrées sur les interactions entre les différentes formes d'inégalité (l'« intersectionnalité ») et font un assez large usage du concept d'« islamophobie », qui leur paraît rigoureux, scientifiquement fondé et fécond, là où l'« islamo-gauchisme » évoqué par leur ministre ne serait qu'un « slogan politique utilisé dans le débat public », qui « ne correspond à aucune réalité scientifique » (communiqué du CNRS, 17 février 2021). On aurait donc, d'un côté, un gouvernement en voie de « droitisation » accélérée qui s'en prendrait à l'Université et à la Recherche au nom d'un pseudo-concept polémique (l'« islamo-gauchisme ») et, de l'autre, des sciences sociales dynamiques et créatives, dont les recherches les plus novatrices (comme l'étude de l'« islamophobie ») seraient mises en question pour de sombres raisons de politique conservatrice ou même réactionnaire. Cette présentation sommaire a le défaut de passer sous silence un certain nombre de faits que l'on commencera ici par rappeler, afin de mieux éclairer les enjeux d'une controverse qui n'est sans doute pas près de s'éteindre.

P. R.

Il faut d'abord rappeler, si l'on veut comprendre l'écho et la violence inattendue de ces débats, que les propos de Frédérique Vidal avaient été précédés quelques mois plus tôt par une première polémique, dans laquelle on trouve déjà tous les ingrédients de la crise récente et qui...

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