Le cinéma a-t-il encore besoin de l'histoire alors que l'univers tridimensionnel et futuriste d'Avatar triomphe dans les salles ? L'histoire pourtant est au centre de plusieurs des films majeurs de l'année écoulée. Partant des premières années du xxe siècle avec Vincere de Marco Bellochio, dont le personnage principal est un Mussolini encore socialiste au début du film, ceux-ci ont traversé le siècle. La Seconde Guerre est mise en scène de manière bien différente dans L'Armée du crime de Robert Guédiguian et dans le scandaleux Inglorious Bastards de Quentin Tarantino et le terrorisme d'extrême gauche allemand dans La Bande à Baader d'Uli Edel. La Palme d'or cannoise a proposé quant à elle, à travers le rigoureux Ruban blanc de Michael Haneke, un film austère dans lequel on a vu un apologue liant l'éducation protestante d'un petit village de l'Allemagne à la violence politique du nazisme. Enfin, la télévision n'a pas été en reste, proposant au public français un film de montage d'archives filmiques restaurées et colorisées, Apocalypse, se présentant comme la lecture définitive de ces images.
P. G.
La fiction historique peut rester séduisante pour le public, mais elle doit pour y parvenir échapper à son caractère factice ontologique (1). En effet, autant le spectateur d'une scène filmique contemporaine à vocation naturaliste accepte de se laisser prendre au réalisme photographique du cinéma, autant il manifestera aujourd'hui de prime abord sa méfiance envers la reconstitution qu'impose toute fiction historique. Le document d'archives omniprésent dans l'univers télévisuel, qui prétend constamment à la vérité factuelle, est là pour lui faire concurrence et servir d'étalon de vérisme. La fiction réagit alors en affichant le plus souvent une volonté de véracité historique à travers la caution des historiens, souvent réputés, que les producteurs embauchent pour assister et cautionner les projets.
Un des exemples récents les plus marquants d'un film recherchant ce type de véracité historique est La Chute, produit en 2004 par Bernd Eichinger et réalisé par Oliver Hirschbigel. Hitler y est incarné par Bruno Ganz. L'historien conservateur Joachim Fest a participé à l'élaboration du projet. C'est donc le réalisme d'une histoire documentée relatant chronologiquement les derniers jours d'Hitler et de ses fidèles qui est offert, sous la forme d'un film à grand spectacle aux normes anglo-saxonnes, aux Allemands et aux spectateurs des autres pays. La mesure caractérise en apparence le film qui met en scène des personnages le plus souvent réels dans l'état-major nazi, le désarroi de la population victime des bombardements, l'aveuglement des subalternes qui entourent Hitler, et la folie du dictateur et des hiérarques du régime. Près de cinq millions de spectateurs allemands et d'un million de spectateurs français ont apprécié cette présentation qui les a convaincus par son sérieux historique. Le cinéaste Wim Wenders a attaqué le film, protestant que celui-ci se cantonnait à une véracité factuelle de détails sans rechercher de véritable intelligence historique des événements et faisant des Berlinois de simples victimes d'un régime auquel ils semblaient ne pas véritablement prendre part. On reste perplexe aussi devant ce scénario qui présente le médecin SS Günther Schenck, qui a participé à des expériences sur des hommes dans des camps de concentration, comme un héros qui tente de sauver les civils (2).
Les films de 2009 ont adopté des partis pris plus forts pour filmer l'Histoire. Par son style de reconstitution humaniste et vériste du Paris populaire de la guerre, L'Armée du crime de Robert Guédiguian paraît s'inscrire dans le registre de La Chute, mais en jouant tout de même discrètement du romanesque et du mélodramatique. Plus subtilement encore, le cinéaste, quoique ayant travaillé à partir des ouvrages des historiens spécialisés, a avoué avoir modifié certains éléments historiques pour les besoins du déroulement fictionnel et de l'empathie que doit susciter le sort tragique des jeunes militants. C'est bien une légende moderne du groupe Manouchian qu'il a voulu offrir au spectateur. Une légende en résonance avec l'actualité, car elle prône l'engagement militant, comme le devoir de mémoire, en mettant en valeur le courage de ces jeunes immigrés combattant pour la France.
Vincere a pour sujet la période oubliée de la carrière de Mussolini : ses débuts socialistes, puis son engagement en faveur de l'intervention militaire italienne, paradoxal aux yeux de ses camarades militants ouvriers, et sa liaison avec Ida Dalser, qui affirma avoir été sa première épouse légitime et la mère de son fils, sans avoir pu le prouver. Pour raconter ces engagements reniés et refoulés, Marco Bellochio adopte un cinéma « opératique » retravaillant numériquement l'archive filmique d'actualité dans les longues séquences d'ouverture, ou utilisant le cadre de scènes à grand spectacle, telle la charge des cavaliers contre les manifestants, pour réunir les personnages. Dans d'autres séquences, comme celle où la femme enfermée à l'asile par les autorités s'accroche aux immenses grilles d'enceinte, le cinéaste s'éloigne de tout réalisme et propose des images théâtrales et quasi fantastiques. Le film plonge dans la subjectivité du personnage féminin, plutôt que de viser à une neutralité historique : la souffrance de la femme grandit avec la carrière triomphale du Duce. Pourtant c'est bien à une remémoration qu'il invite, à un retour et à une réflexion sur les années de la Première Guerre cruciales pour Mussolini, et plus largement sur ses choix et ceux du pays qui l'a suivi.
Le film le plus décrié du festival de Cannes, Inglorious Basterds, s'éloigne comme Vincere d'une reconstitution historique méticuleuse. Ses personnages principaux sont, d'une part, un commando de soldats juifs emmenés derrière les lignes allemandes où ils massacrent leurs adversaires, les scalpent et gravent des svastikas au front de ceux qu'ils laissent en vie, et, d'autre part, une jeune femme juive qui veut se venger d'un officier nazi qui a tué sa famille. À la fin du film, le commando et la femme joignent leurs forces et réussissent à tuer Hitler dans un cinéma parisien. La puissance de la fiction s'affirme ici pleinement, contre toute la connaissance préalable du spectateur qui sait bien qu'il n'existait pas de tels commandos et qu'Hitler est mort à Berlin en mai 1945. L'intelligence du cinéaste Tarantino est double. Il sait que nombre de ses spectateurs vont réagir infantilement à ce jeu de massacre et applaudir aux rares scènes d'action et à la déroute des nazis : il a une superproduction américaine à financer. Il cherche aussi à provoquer le spectateur et à le contraindre à réfléchir à son rapport à l'histoire que lui montre le cinéma. L'uchronie adopte ici une forme particulièrement sensationnelle et touche des sujets particulièrement graves. Elle n'en est pas moins efficace. La terreur fictionnelle que provoque chez l'armée allemande le commando juif est le pendant de la terreur nazie historique. Le film de propagande fictif projeté dans le cinéma pour attirer Hitler est à l'image d'un véritable mauvais film de guerre américain, et Tarantino s'interroge tout au long du film sur la responsabilité politique des artistes. Le svastika gravé au front des nazis est l'envers de véritables « étoiles juives ». Quant à l'idée que d'importants dirigeants nazis aient pu être « récupérés » par l'armée américaine (ou bien échapper en Allemagne de l'Ouest à toute dénazification), elle est évidemment totalement fictive.
Enfin, Michael Haneke offre au public dans Le Ruban blanc un film marqué par la splendeur du noir et blanc, la puissance de l'évocation historique et la dénonciation de la violence. Celle subie par les enfants, et les adultes aussi, dans cette Allemagne rurale de 1913 où le rigorisme protestant et l'ordre social génèrent une autre violence irrationnelle s'exerçant dans le secret et le complot. La critique vit dans cette dénonciation de l'éducation protestante appuyant la hiérarchie sociale une tentative d'explication de l'adhésion des Allemands au nazisme, révolte sauvage et clanique contre l'ordre passé. Certes le film s'achève par l'annonce de l'assassinat de l'archiduc François-Joseph. La voix de l'instituteur fait alors le lien avec les massacres à venir où l'obéissance et la violence régneront. Mais la relation entre récit du film et nazisme, sinon même terrorisme des années 70, n'est faite qu'au début lorsque la voix du personnage vieilli se réfère aux « événements à venir ». Pourtant Grande Guerre et nazisme ont d'autres causes que cette violence éducative et sociale. Le cinéaste retrouve en réalité une interrogation plus globale sur les relations entre victimes d'aujourd'hui et bourreaux de demain et sur la puissance de la violence adolescente, qui sont d'autres questions d'actualité pour les sociétés occidentales permettant d'élargir le propos moral de l'œuvre du passé vers notre présent.
La fiction historique reste présente dans les salles de cinéma, alors que les origines d'un usage rigoureux du cinéma par les historiens remontent aux débuts du cinéma. Un tel projet d'utilisation historique a été élaboré en effet par Boleslas Matuszewski, qui dans une brochure publiée en mars 1898 a posé clairement les bases de ce que seraient des archives historiques cinématographiques et formulé des propositions pour leur utilisation dans l'intérêt des connaissances historiques (3). Il y propose d'enregistrer méthodiquement par le cinéma tous les grands événements que retraceront dans l'avenir les livres d'histoire. Nul n'est besoin pourtant de financer une armée de reporters cameramen. Il s'agira de tirer un profit historique des images enregistrées dans un but commercial. L'histoire sera ainsi mise à disposition de l'historien « endormie à peine ». Le point fort du film sera sa véracité : l'image mouvante est pour le concepteur du projet un « témoin oculaire véridique et infaillible ».
En effet, Matuszewski n'ignore pas les manipulations déjà opérées sur l'image photographique et fait confiance au film dont la multiplicité des images rend impossible (en 1898) la retouche discrète. Il n'est pas totalement naïf néanmoins et propose d'instaurer un dépôt d'images d'actualité où, pour des raisons de sécurité comme d'objectivité, on séparerait les négatifs scellés et les positifs utilisés par les historiens. D'autre part, il comprend que, malgré le flair des reporters de cinéma pour saisir l'événement dès son origine, il faudra passer des effets filmés aux causes, c'est-à-dire se livrer à un véritable travail historique à partir des sources. Par cette proposition visionnaire, Matuszewski a fourni les outils de futures archives cinématographiques et a surtout mis en lumière nombre de problèmes auxquels sont confrontés les historiens qui essaient de tirer parti des films.
Un des premiers historiens français à utiliser l'image filmique à l'égal des autres matériaux historiques traditionnels, Marc Ferro, a établi, dans un entretien publié en 2008, un bilan de son expérience de plus de quarante ans de cinéma et d'histoire (4). Sa conviction est bien toujours que l'image cinématographique « ne dit pas exactement la même chose que l'écrit, ou du moins le dit autrement » et qu'ainsi le poids de l'image et de son objectivité est un apport essentiel à l'historien pour lui permettre de compléter ou même d'écarter d'autres sources. L'évolution du travail de Ferro est importante et témoigne de sa réflexion face aux images. Le montage historique d'archives commenté par l'historien fait à ses yeux apparaître rapidement la contradiction sous-jacente entre celui-ci, qui serait le gardien de la vérité historique, et le réalisateur créateur de formes visuelles et sonores, qui risquerait de sacrifier l'histoire au cinéma. Cela conduit à un nouvel usage de l'image où celle-ci devient un outil plus neutre pour l'historien à travers la série Histoire parallèle diffusée par Arte de 1989 à 2001. Dans ce cas, les images des actualités cinématographiques de divers pays, qui ne sont pas remontées, peuvent être contradictoires ; elles permettent néanmoins aux historiens qui les commentent de construire leurs discours historiques à partir et, si cela est justifié, contre les images qui sont ouvertement des outils.
Cette méthode répond aussi, comme l'explique Ferro, à la crise introduite dans le film de montage historique traditionnel par Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls en 1971. Ici le cinéaste, qui n'est pas historien professionnel, laisse parler archives et témoins qu'associe son montage. Aujourd'hui, les salles de cinéma ignorent le montage conçu par des historiens et le remplacent par le film enquête subjectif où le cinéaste s'engage pleinement, d'Ophuls à Lanzmann, pour faire apparaître sa vision de la vérité historique. Le récent ouvrage de Sylvie Lindeperg consacré à l'élaboration et à la réception de Nuit et Brouillard d'Alain Resnais a montré magistralement comment Resnais, devançant dans sa pratique ce débat intellectuel qui n'apparaîtra clairement que beaucoup plus tardivement, était passé lui-même d'un projet traditionnel de film de montage sur les camps nazis à une interrogation plus subjective sur l'extermination politique et raciale (5).
En revanche, la télévision reste friande du montage de compilation comme en témoigne en 2009 le succès d'audience de la série Apocalypse qui propose, selon ses concepteurs, de raconter de manière définitive l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Les archives ont été en partie restaurées numériquement et toutes les images noir et blanc colorisées, à l'exception des images des camps de concentration et d'extermination. Ce retour à la conception d'un discours historique homogène et continu qui manipule librement les images pour favoriser sa commercialisation à une heure de grande écoute a été vivement critiqué (6). Ce n'est malheureusement qu'un exemple de programmes contemporains historiques, documentaires, fictionnels ou mêlant les deux approches, français ou étrangers, qui ignorent les réflexions historiques et cinématographiques sur les rapports de l'histoire et du cinéma au profit d'une approche simpliste de recherche d'audimat.
Cela est d'autant plus frappant que les historiens du cinéma ont montré récemment comment le premier cinéaste concepteur du film historique de compilation d'archives, la Soviétique Esther Choub, se montrait paradoxalement plus respectueuse dans le contexte des années vingt soviétiques des images et de l'histoire (7). Son premier film, La Chute de la dynastie des Romanov (1927), raconte la société tsariste et la révolution de février 1917 à partir de films documentaires russes et étrangers. La cinéaste effectue un travail d'archiviste pour classer et identifier son matériel filmique et y ajoute des plans d'objets et d'articles de presse. Son discours politique s'exprime dans le choix des extraits, le commentaire des cartons, et le montage lui-même qui sert à insister sur certains aspects et à organiser des contrepoints ironiques. Mais Choub adopte un parti pris essentiel de respect des images retrouvées. Elle travaille sur des copies et conserve autant que possible l'archive dans sa durée, alors que les compilations plus modernes, manipulant le document lui-même, en altéreront plus nettement le sens en privant le spectateur d'une part de sa liberté. Surtout, elle comprend son travail comme un moyen de redonner un sens dans le présent de la réalisation du film à des images du passé, tout en étant consciente que les cinéastes ou historiens du futur pourront construire leur propre vision de l'histoire à partir des matériaux filmiques qu'elle a mis au jour.
Cinéma et histoire sont ainsi condamnés à s'unir intimement pour échapper aux apories évoquées précédemment : forme cinématographique prenant le pas sur la réflexion historique ; discours historique réducteur de la richesse de l'image et du son ; fiction historique normalisant et l'histoire et le cinéma ; images tenues prudemment à distance comme matériau brut et peu fiable par l'historien. C'est bien cette union que Marc Ferro appelle de ses vœux en souhaitant une pleine collaboration de l'historien et du cinéaste.
D'autres cinéastes, réalisant de plus modestes documentaires-essais et s'emparant des images du passé, construisent l'histoire avec leur film. Ils sont moins connus du grand public mais deux noms méritent d'être cités ici, ceux des cinéastes allemands Harun Farocki et Alexander Kluge. Farocki est un essayiste de cinéma, auteur de plusieurs films de fiction et de très nombreux documentaires (et aujourd'hui d'installations), par lesquels depuis plus de quarante ans il réfléchit aux pouvoirs de l'image, aux fonctions et aux limites de la vision, et aux usages sociaux de celle-ci. Respite 2007 est construit à partir des images filmées par des détenus juifs à la demande des dirigeants SS du camp de transit hollandais de Westerbork, d'où Anne Franck et Etty Hillesum partirent vers l'extermination. La fonction du cinéaste sera, par le cinéma, d'effectuer un travail d'historien sur ces plans jusqu'ici jamais analysés dans leur intégralité. Farocki démontre ici avec force la nécessaire « collusion de l'image et du texte dans l'écriture de l'histoire (8) ». Alors que les nazis ont commandé ces films pour valoriser l'apport économique du camp ou préparer la destruction des Juifs, comme cela avait été le cas pour le film élaboré par Kurt Gerron à Theresienstadt, connu sous le titre apocryphe Le Führer offre une ville aux Juifs, le cinéaste-historien d'aujourd'hui utilise l'apport des recherches modernes pour replacer les images dans leur perspective historique et mettre en lumière ce qui n'a pu être vu et interprété à l'époque. Il travaille la matérialité de l'image elle-même par arrêt sur l'image et agrandissement de détails, et ajoute des cartons sur fond noir qui apportent un commentaire à des images muettes, dont le cinéaste choisit de conserver l'absence originelle de bande sonore. Le travail historique permet de dater précisément certaines images en comparant les marques portées à la craie sur les valises des déportés et la liste des convois. Il redonne un nom à un visage de déporté, par exemple celui déjà présent dans Nuit et Brouillard d'Anna Maria Settela Steinbach, une jeune Sinti gazée à Auschwitz. En d'autres occasions, il permet au cinéaste plus modestement de formuler des hypothèses, de proposer des lectures parfois contradictoires sur le sens de ces images qui ne peut être définitivement figé (9). À travers ce film, l'histoire comme le cinéma restent vivants, ouverts à des recherches historiques et filmiques toujours en cours, alors que ceux qui furent filmés, comme ceux qui les filmèrent sous la contrainte, Rudolf Breslauer ici et Gerron à Térezin, ont disparu. En cela aussi, le cinéma peut lutter contre le nazisme qui voulait à la fois faire disparaître totalement ceux qu'il exterminait et manipuler à son profit leurs dernières images.
Dans son dernier film, Le Complexe de l'Allemagne (2009), Alexander Kluge propose une vision subjective et morcelée de l'histoire de la République fédérale à partir d'éléments filmiques très divers en présentant de manière non chronologique un débat lors d'un meeting entre le chancelier Erhard et un jeune contestataire du SPD, le déchiffrement dans le Reichstag des graffitis soviétiques de 1945, l'inauguration de la nouvelle Potsdamerplatz, la cérémonie de départ des troupes russes devant le monument berlinois au Soldat soviétique… Sous une forme télévisuelle modeste, le cinéaste propose à la réflexion du spectateur des images d'archives prises dans la durée auxquelles le film conserve leur part d'indécision, alors même que dans d'autres passages Kluge manipule l'image par incrustation vidéo pour tourner en dérision certains politiciens. Ces images devenues archives avaient un usage immédiat d'actualité (ou un non-usage, si elles sont restées à l'état de rushes inutilisés) ; le cinéaste-historien les interroge en les insérant dans son film, les soumet à l'œil et à l'esprit du spectateur qui doit chercher comment leur trouver une place dans sa propre lecture de l'histoire.
Le cinéma et la fiction télévisuelle ont réaffirmé ainsi dans ces derniers mois leur attraction fatale. Pour les cinéastes et les historiens, tout reste à faire. Pour les spectateurs, tout reste à voir. Entre récit réducteur, conflits entre historiens et cinéastes, grande forme cinématographique et modeste documentaire télévisuel, passant de l'image sophistiquée de la superproduction hollywoodienne à l'image « volée » par un unique caméraman, l'histoire et le cinéma vivent une liaison bouillonnante comme deux personnalités elles-mêmes complexes et toujours en mouvement.
Et d'autre part, plus largement, le cinéma dans son entier, comme l'affirme Antoine de Baecque dans son L'Histoire-caméra publié chez Gallimard en 2008, par sa nature complexe d'archive, d'objet et d'acteur de l'histoire, « projette l'art dans l'histoire » et nous fait entrer aujourd'hui « dans l'âge de l'histoire dans la vision des films » où l'histoire devient clé d'interprétation de tout film de sujet contemporain ou proprement historique.
PIERRE GRAS
Je tiens à remercier pour son concours Matthias Steinle,
maître de conférences à l’université Paris-III-Sorbonne-Nouvelle,
qui m’a fait bénéficier de ses conseils et de ses remarques.
Christoph Kopke, « Heil Kräuter. Der gute Mensch in Hitlers
Bunker ? Die Rolle des Arztes Günther Schenck im “Untergang” »,
Frankfurter Allgemeine Zeitung, 20 septembre 2004, p. 38.
Boleslas Matuszewski, « Une nouvelle source de l’histoire »,
Écrits cinématographiques, AFRHC, 2006.
« De la BDIC à Histoire parallèle. Entretien avec Laurent
Véray », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 89-90, janvierjuin
2008, p. 147-155.
Sylvie Lindeperg, Nuit et Brouillard, Odile Jacob, 2008.
Georges Didi-Huberman, « En mettre plein les yeux et rendre
Apocalypse irregardable », Libération, 21 septembre 2009.
Sur Choub, voir François Albera, « Cinéma soviétique des
années 1924-1928 : le film de montage/document, matériau, point
de vue », dans Jean-Pierre Bertin-Maghit (éd.), Une histoire des
cinémas de propagande, Nouveau Monde, p. 83-91 et Matthias
Steinle, « Esther Choub et l’avènement du film-archive », Théorème,
14, juin 2010.
Harun Farocki, Reconnaître et poursuivre, textes réunis par
Christa Blumlinger, TH. TY., 2002, p. 37.
Sylvie Lindeperg, « Vies en sursis, images revenantes », Trafic,
n° 70, été 2009, p. 31.