Un inédit de Revel En juillet 1993, Jean-François Revel, de concert avec son éditeur, se lançait dans une entreprise toute nouvelle pour lui, la plus ambitieuse et la plus difficile qui soit : parler du monde à travers soi, et de soi au monde. À la veille de ses soixante-dix ans, il était résolu à ne pas se dissimuler derrière les faits auxquels il avait été mêlé ni les réflexions qu'ils lui inspiraient, mais d'abord à être, comme Montaigne qui chez lui n'était jamais loin, à soi-même la matière de son livre. Aucun de ses ouvrages ne lui coûta autant d'efforts ni de temps, puisqu'il lui consacra plus de trois années d'un travail presque ininterrompu. Le choix du titre, Le Voleur dans la maison vide, ne fut pas la moindre des difficultés à surmonter. Mais le résultat, obtenu à la mi-janvier 1997, fut à la hauteur des espérances et du plaisir éprouvés par l'auteur, et aussi par l'éditeur. En particulier, la critique et surtout un large public reconnurent en Revel, définitivement, un écrivain à part entière, et non plus seulement un publiciste, comme on disait au xixe siècle, et c'est sans doute ce à quoi il tenait le plus ; un peu, mutatis mutandis, comme Benjamin Constant avant et après Adolphe et Le Cahier rouge. Peut-être y vit-il alors un passeport pour l'Académie française, où il fut élu au premier tour le 19 juin 1997, et reçu par Marc Fumaroli un an plus tard.On aurait pu croire que les lauriers brodés sur son habit conduiraient Revel, après quarante années à rompre des lances en librairie, dans la presse et sur les ondes, à entrer dans une période de repos, en tout cas de moindre activité. Que non pas ! À la fin de juillet 1998, il annonçait à son éditeur : « J'ai commencé à écrire sur le sujet dont nous avons parlé. Je pense l'appeler La Grande Parade. » De fait, l'ouvrage parut sous ce titre en janvier 2000. Suivit encore, en septembre 2002, L'Obsession anti-américaine. Ce devait être le 31e et dernier titre publié sous son nom et de son vivant.Pourtant Revel ne cessa pas d'écrire. En effet, donner une suite au Voleur dans la maison vide, dont le récit ne dépassait pas, volontairement, l'année 1985, faisait partie du projet initial. En quelques mois, de 2004 au début de 2005, et alors que le rythme se faisait plus lent, il parvint à rédiger cinq chapitres, peut-être un quart du texte envisagé, dont il calligraphia la page de titre : Mémoires II. Le Bada. « Bada », en provençal de Marseille, est « ce petit morceau supplémentaire que le marchand de glaces ambulant ajoutait gracieusement au sommet du cornet ». Le premier de ces chapitres demeurés inédits et même inconnus, remis à l'éditeur à mesure de leur rédaction, est intitulé « Avec les larmes ». Aucun ne touche davantage à l'intimité de l'auteur, et il est peut-être celui qui, dans toute son œuvre, lui fait le plus honneur. Le lecteur, croyons-nous, y retrouvera ce grain de voix identifiable entre tous, et ce rire philosophique que tous ceux qui ont eu le bonheur de les entendre n'ont jamais oubliés.
À la fin de mes Mémoires, Le Voleur dans la maison vide1, je dis pourquoi j'envisage la possibilité d'ajouter un jour à ces souvenirs un complément, un « bada ». Ce dernier terme semblera énigmatique à quiconque n'a pas grandi à Marseille. Aussi expliqué-je dans cet ultime chapitre...